On nous
prévoit un carnage, des têtes vont tomber, celles des poètes surtout !
Hans LIMON n’y va pas par quatre chemins, le sang va couler, des comptes vont
se régler. L’auteur s’appuie sur des œuvres existantes qu’il se propose de
réécrire, de réinterpréter. Figure de poète maudit, 100 % XXIe siècle, il
quitte le mythe du XIXe romantique où l’on se déclamait des vers en se suçant généreusement
la langue.
Mélange des
genres : prose, poésie, théâtre. La forme classique du poème peut côtoyer
le langage injurieux, trivial, finalement ordurier parfois. Oeuvre très riche
qui s’adresse à un public averti (AZERTY écrirait l’auteur) par justement cette
mixité toute particulière teintée de références littéraires. Le niveau
d’écriture est haut, brillant, bouillant, peut se faire vindicatif dans cette
forêt référencée de mots au vocabulaire recherché. Pour ne rien gâter LIMON
sort son joker : l’humour, oui ces teintes dévastatrices, la dérision, la
moquerie, ça part dans tous les sens, truculence nous voilà !
Un exercice
de style de haut vol, car même si le lecteur doit par contrainte rester passif, il se régale là où LIMON semble
s’amuser passionnément. Le Monsieur gère la fougère ! Cette fougère
épaisse derrière laquelle se trouvent des troncs d’arbres sur lesquels viennent
s’inviter tour à tour PESSOA, ARTAUD, BAUDELAIRE, RIMBAUD, VERLAINE,
SHAKESPEARE, HUGO, RILKE, VILLON, MOREAU bien sûr. « Bien sûr » parce
que dans cette nouvelle collection « Les Indociles » de chez Quidam
Éditeur, c’est bien marcel MOREAU qui en avait essuyé les plâtres il y a
seulement quelques semaines avec la réédition de « À dos de dieu »,
un texte de 1980. Pour LIMON, MOREAU est le plus grand, le rescapé d’une
épidémie, le miraculé du génocide poétissier. Oui, permettons-nous poétissier,
car LIMON ne se prive pas pour nous délivrer des néologismes, souvent très drôles
d’ailleurs, parfois en forme de jeux de mots inventifs. Car il est interdit de
s’emmerder une seule seconde dans « Poéticide ». On y parle vrai,
cru, on y agit cru, on y baise cru. Le poème écrit par l’auteur ne lui plaît
pas ? Aucun problème, il le biffe. Si si, sur le livre, scratch, une
rayure en guise de guillotine en travers de la page :
« - SHAKESPEARE : Pourquoi ces
poèmes rayés ?
-
LE VIEIL HOMME : Le plaisir de laisser
un indice ou deux sur la scène de crime. Et puis, je ne consens à boire ma
soupe que si j’y ai préalablement craché un peu de bile, histoire de lui donner
meilleurs goût et consistance ».
Certains
vers, certaines phrases, certaines pages sentent le foutre :
« Un génie du coït
virtuose de la bite
une machine à orgasmes
distributeur de spasmes
un colossal jouisseur
qui burine jusqu’au cœur
une sommité du sexe
jamais à cours
jamais perplexe
un athlète endurci
caucasien
circassier circoncis »
Écrire par
nécessité, par besoin vital, pas pour se vendre dans le métier ni faire de
ronds de jambes aux puissants (tous les métiers possèdent leurs puissants) :
« Ta Poésie, c’est de l’aber, du superflou, ta couille dans mon potage,
la foudre sans orage ! Elle se vend, ta Poésie, elle se prostitue chaque
année sur les places publiques ! Elle quémande les prix, les récompenses,
les subventions, les caresses, les dessous de table ! Elle pue la pisse et
la naphtaline ! ».
LIMON se veut
libre de toute contrainte, de tout contrat. Il souhaiterait faire table rase du
passé, occire à nouveau tous les poètes. Oui mais il y a MOREAU, ce MOREAU qui
prend la plume, intervient en fin de texte, tapotant l’épaule de LIMON de sa
vieille main tremblante, comme pour l’exhorter à continuer. Nous ressortons
rassurés : aucun poète n’a été zigouillé en ces pages, la légende peut
continuer de s’écrire, avec ou sans vers, théâtralement ou non. La vie en prose
reprend son chemin. Il sera rocailleux mais mènera loin.
(Emilia Sancti & Warren Bismuth)
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