lundi 28 janvier 2019

Éric PESSAN « La connaissance et l’extase »


Comme souvent ça commence dans un petit bistrot de quartier au matin. Comme souvent les yeux des consommateurs sont vissés sur un écran projetant des informations en continu. Ici pas de consommatrices. Les femmes sont sans doute à s’occuper des mômes, la société patriarcale a encore de beaux restes. Un client, peut-être un peu amoché, commente haineusement les infos en question. En l’occurrence il se satisfait du décès de David BOWIE. Et puis forcément ça dévie, les musulmans, tous des terroristes qu’il faudrait tuer. On a tous été témoins de scènes identiques, même si toutes ne finissent pas par une tournée de vodka pamplemousse (à 8h13 très exactement précise l’auteur) comme c’est le cas ici.

Que faire face à la bêtise, à la haine, à la peur de la différence, aux amalgames, aux préjugés ? Éric PESSAN est à la fois écrivain et animateur d’ateliers d’écriture et de lecture théâtrale dans des collèges et des lycées, qu’ils soient généraux, professionnels ou techniques. Il vit au quotidien ces dérives idéologiques encore plus que lexicales, il tente de les combattre, il perd parfois espoir. Dans ce petit essai, il livre ses impressions, ses constats de nombreuses années sur le terrain, dans le but d’inculquer une certaine morale, un certain respect, une certaine idée de la République.

PESSAN est un idéaliste, il en est conscient. Il sait que pour certains élèves comme pour l’ivrogne du bar il est trop tard, trop tard pour les former à une certaine tolérance, à une ouverture d’esprit. Pour d’autres, il sait qu’il peut les imprégner de nouvelles valeurs, c’est pourquoi il continue contre vents et marées à faire apprendre, à éduquer, à inciter à la curiosité.

Il en entend de sévères lorsqu’il sillonne la France afin de partager des idéaux, des convictions. Et les pédés, et les gonzesses, et les arabes, et les juifs, etc., au mieux le désespérant racisme ordinaire, au pire la véritable haine pour l’autre, la haine de sa différence, avec les préjugés à grands renforts de trompettes, pitoyable chorégraphie d’idées (mal) reçues depuis la plus tendre enfance. Alors PESSAN se questionne. Beaucoup. Est-ce la faute à la bêtise, à l’éducation, à l’instruction, à la désinformation (les fake news arrivent au galop) ? Un peu tout à la fois ? Il lui arrive de baisser les bras à PESSAN, puis il se souvient de sa mission première, toute sacerdotale, il repart au combat avec ses armes : les idées, un stylo, les échanges, c’est pas plus compliqué que ça.

Et pourtant, devant certaines réflexions, certaines situations, une envie de violence : « Je sais que frapper est souvent la conséquence d’une absence de vocabulaire. Frappent ceux qui n’ont pas les mots pour dire. Sont violents ceux qui ne parviennent pas à clarifier des idées confuses. Mais dans mon cas ? Est-il possible d’être violent parce que l’on sait que les mots ne serviront à rien ? La violence parce que l’on anticipe par avance sa défaite ? Cogner, taper, claquer et boxer puisque je sens bien qu’aucun mot n’aura le pouvoir de changer ces hommes. Me battre par désespoir ». Et puis non. Il remet les poings dans ses poches, les gants aux vestiaires. Il faut échanger, partager.

Pas évident quand l’on tente de faire changer les convictions de l’autre en face alors que, lorsqu’il déroule les siennes (qui nous semblent méprisables), on se refuse à lui laisser le champ libre pour développer sa haine. De là, comment lui expliquer qu’il a tort et que par conséquent on a raison ? « On naît raciste ou on le devient ? On naît bête ou on apprend à l’être ? Qu’est-ce qui rend bête ? La prédestination ? La famille ? L’éducation ? Le milieu social ? Le manque d’amour ? ». Beaucoup de questions auxquelles l’auteur n’a pas ni la prétention ni la vanité de répondre. Il les pose à plat, il trouve que c’est un bon début. La communication, le dialogue, toujours, même si l’auteur a conscience des limites de son travail.

Éric PESSAN a déjà une petite quarantaine de bouquins à son actif. Dans ces chroniques, il fait partager (encore ce mot) ses idéaux, son combat d’une vie, une lutte à la fois contre les discriminations, les préjugés quels qu’ils soient, mais aussi pour la tolérance, l’acceptation de la différence. On ne peut que le féliciter, d’autant que le bistrot du premier chapitre va resservir au dernier, comme un godet de l’amitié en guise de conclusion synonyme d’espoir, une extase de la connaissance. Sorti début 2019 aux Éditions L’Attente (de Bordeaux) que je remercie chaleureusement au passage.


(Warren Bismuth)

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