dimanche 29 novembre 2020

Jacques JOSSE « Vision claire d’un semblant d’absence au monde »

 


En 2003 paraissait aux éditions Apogée un recueil de poèmes de Jacques JOSSE, réédition d’un livre de 1998 (aux éditions Paroles d’aube) mais augmenté de quelques textes. Le patchwork continue à s’accroître avec cette nouvelle édition chez Le Réalgar, encore complétée de deux petits recueils : « Au célibataire, retour des champs » (originellement paru en 2015 aux éditions Le Phare du Cousseix) et « Des solitudes » (en 2000 aux Cahiers Blanc Silex).

Jacques JOSSE est ce magicien des mots et des images. Son univers est à la fois restreint et immense : instantanés sur de petites gens, bretons notamment, mais nous pourrions les croiser au détour d’un bistrot un peu partout sur terre, ces invisibles qui pourtant font le Monde.

À partir de faits divers souvent tragiques (assassinats, suicides, accidents), Jacques JOSSE reconstitue par sa poésie méticuleuse une société défigurée, des destins amputés. Ce conteur de solitudes observe dans la brume, sous le crachin ses égaux, et partant du pire, il en restitue le meilleur, ou le plus vrai.

« ici / quand / un homme / se mouche / dans un verre de bière / on entend rouler / des paquets de mer / sous sa langue / il évite le regard / de celui qui sait / tout sur sa croix / derrière le zinc ».

La nature est représentée, sans jouer un rôle actif, mais elle est là, dans sa superbe, servant de décor, plantée comme le sont tous ces arbres dans les campagnes bretonnes. Elle est témoin des drames, des regards, des remords, sur fond d’alcool, de tabac, d’abus en tous genres. Les images sont toujours saisissantes : « Le fossoyeur officie. Pas à la petite cuiller mais à l’aide d’une pelle il décolle la langue chargée des morts ».

La langue de JOSSE est sonore, à la fois radieuse et inquiétante. Elle transporte, embarque, parfois jusqu’à un port mais jamais sur un bateau. Ici elle percute par de brefs textes, la plupart en vers, très peu en prose, mais tous, en très peu de mots, nous mettent dans l’ambiance, nous permettent de nous imprégner du climat. Écriture épurée ou plus un cheveu ne dépasse, elle est d’une rare concision, elle bouleverse.

« J’ouvre le livre, / un peu comme / on ouvre une fenêtre / pour découvrir, dès l’aube, / un fragment du paysage. / Alors je bénis le jour. / Personne ne me voit. Je parle. / Je donne du pain aux morts. / Et je jette les dernières étoiles / au fond du puits ».

Un court détour par le Cambodge, puis retour en Bretagne où des gueules cassées taiseuses semblent échappées d’un Musée de la Trogne local.

L’œuvre de Jacques JOSSE est un Grand Livre des Morts, une Anthologie des Trépassés. Elle est à lire lentement, en arrêtant notre regard pour mieux fermer les yeux et imaginer. Il est un ténor de notre littérature contemporaine. Dans ce recueil, l’évolution de son travail d’écriture au fil des ans est très visible. De vers tout d’abord choisis finit par s’évader une prose libre, de plus en plus présente dans son oeuvre à partir de l’année 2000 environ.

Cette petite perle est à commander d’urgence aux éditions Le Réalgar (collection L’Orpiment), où l’auteur a par ailleurs déjà publié plusieurs livres, qui sont eux aussi à découvrir et à faire circuler.

https://lerealgar-editions.fr/

(Warren Bismuth)

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