dimanche 7 février 2021

Frédéric FIOLOF « Finir les restes »

 


Ce livre, pourtant court, vous pénètre par les pores. Par son écriture violente, sa poésie brutale, le cœur du narrateur qui s’ouvre et saigne, qui hurle sa peine (sa p-haine ?) devant la perte de ses parents, narrateur orphelin comme abandonné au monde.

De nombreuses images se succèdent dans ce récit de deuil, enfin d’un deuil qui ne parvient pas à s’amorcer. La mort hante chaque ligne, cherchant à s’en extirper pour nous péter au visage.

Quelques séquences ailleurs, géographiquement ou historiquement. Venise, puis la deuxième guerre mondiale, de manière brève mais soutenue avant le retour de la solitude, de l’isolement. Heureusement il y a les livres. Qui donnent de l’oxygène, qui habillent la vie, qui accompagnent, qui entraînent des réflexions personnelles du narrateur. Souvenirs d’enfance exhumés, figures parentales, quand le bonheur était palpable. La présence surtout. Les présences plutôt. « Imaginons que, nourris d’histoires, les morts se dressent soudain comme un seul homme. Nous reviennent en fanfare. Réveillés, désenchaînés et déchaînés. Affamés ».

Dans ces souvenirs, celui de Ludo, bref là aussi. Ludo et les rituels de funérailles au cœur des cimetières. La mort, toujours omniprésente, même dans les coups de projecteurs. Et Denis, l’ennemi d’enfance, celui que l’on n’oublie pas, que le narrateur aimerait bien inviter par ses muscles à rejoindre papa et maman au ciel. Lorsqu’on devient orphelin, il faut trouver un bouc émissaire, on a tous connu ça. Parfois, ça devient incontrôlable. Père. Mère. Cancer. Rime facile. Certes. Mais en l’exécutant l’ennemi, peut-on tuer notre propre passé ?

« Redessiner chaque jour autrement la carte de l’espérance. Trafiquer l’échelle. Renommer le centre de gravité. Inventer des pays où le meilleur se dit autrement. Le meilleur appauvri est d’abord méconnaissable dans son costume de mendiant. On s’en méfie. Et puis on l’adopte. Comme un roi nouveau ».

Et c’est le tour des regrets du non dit. Du silence quand les parents étaient encore bien vivants. Ne pas avoir dit ceci, ne pas avoir su exprimer son amour, ses sentiments. Alors retour sur les images de fin de vie, agonie comme acceptée par les aïeuls, résignation ou soulagement ? Et des phrases au conditionnel, pour un futur jamais vécu, seulement fantasmé ou espéré. Des voyages, qui sait ? En tout cas, le dernier se déroule avec une urne sur les genoux, celle du père…

Il y a du Léo FERRÉ dans cette complainte d’une grosse centaine de pages rythmée par de brefs chapitres à la charpente solide. De la sueur, de la souffrance, de la poésie, du souvenir. Et le noir, celui de l’avenir. « Il n’y a pas eu de colère, se dit l’orphelin. Pas tout de suite. D’abord une sorte de nudité. Car ce que m’ont légué les miens en disparaissant, c’est avant tout ma propre mort. C’est évident, certes, mais je l’éprouve pour la première fois ». « Il n’y a plus rien » chantait FERRÉ. Des questions en suspens dans une poésie écorchée qui pourtant entretient une lueur d’espoir. Pour cela, il faut attendre la fin, ou plutôt le nouveau début, la nouvelle chance.

Ce texte vient de sortir chez Quidam, il ressemble à un uppercut orphelin plein de désillusion, mais aussi de hargne et de besoin de vivre quand on vient de côtoyer la mort d’un peu près.

https://www.quidamediteur.com/

(Warren Bismuth)

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