dimanche 27 février 2022

RACHILDE « Monsieur Vénus »

 


En cette fin de mois de février il va être question de littérature érotique avec le thème « Les bijoux indiscrets » du challenge « Les classiques c’est fantastique » organisé par les blogs Au milieu des livres et Mes pages versicolores. La littérature érotique me laisse horriblement froid, m’ennuie et souvent m’exaspère, surtout lorsqu’elle est écrite par des hommes. Aussi je m’aventure à pas feutrés vers ce roman de la fin du XIXe siècle d’une certaine RACHILDE, « Monsieur Vénus ».

Fin du XIXe siècle, une jeune femme effrontée, Raoul de Vénérande, se prend d’amour pour un homme effacé, Jacques Silvert, fleuriste et artiste peintre. Après avoir fait appel à ses services pour un bal masqué, elle va entamer avec lui un jeu de séduction et de domination malsain, notamment lorsqu’en seront témoins la propre sœur de Jacques dénommée Marie, une prostituée, ainsi qu’un potentiel amant éconduit de Raoule, le baron de Raittolbe.

Presque dès le premier coup d’œil, Raoule s’est éprise de Jacques et s’est mise à fantasmer littéralement sur son corps, un Jacques qui en retour se laisse séduire avec délectation, tandis que la moutarde monte au nez de sa sœur et de l’ami de Raoule. C’est au milieu de ce quatuor diabolique que se développe la trame – pauvre - du roman.

Écrit en 1884, cet ouvrage n’est pas à proprement parler un chef d’oeuvre. Attention, il y a cependant un élément très original au vu de la période pendant laquelle il fut rédigé : Raoul l’héroïne masculine aime se travestir en homme, quant à Jacques, son amant soumis, elle le voit en femme, elle désire « qu’elle » lui obéisse. Raoule, une aristocrate élevée par sa tante, est bougrement narcissique, imbue de sa personne, un tantinet manipulatrice voire machiavélique, et il lui faut parfois mentir pour parvenir à ses fins. « Je représente ici, dit-elle en enlevant d’un réchaud d’écrevisses, l’élite des femmes de notre époque. Un échantillon du féminin artiste et du féminin grande dame, une de ces créatures qui se révoltent à l’idée de perpétuer une race appauvrie ou de donner un plaisir qu’elles ne partageront pas ».

L’amorce est intéressante mais fait « pschitt » au sein d’une intrigue maladroite. Si Raoule a un an de plus que Jacques et peut de ce fait se réclamer comme étant son aînée, l’âge de Jacques est tantôt de 21, 24 ou 23 ans alors que l’histoire se situe dans un court espace temps. Tout ce que l’on sait, c’est que RACHILDE (pseudo de Marguerite EYMERY) n’a que 20 ans lorsqu’elle écrit ce roman. D’après le préfacier Maurice BARRÈS, elle est encore vierge.

Quant à Jacques, il pourrait s’écrire Geac, anagramme de « cage », tant l’homme est prisonnier de sa maîtresse, même si cette condition semble le ravir à tous points de vue. Comme tout roman du XIXe qui se respecte, les protagonistes s’épient sans vergogne et se détestent.

Dans un peu subtil jeu de séduction, de manipulation, de domination et de volonté de contrôle de l’autre, on peut se sentir au cœur d’un début d’ébauche de roman du marquis de SADE ou bien dans une version immature des « Liaisons dangereuses ». Le style, bien que pas désagréable, est suranné. L’intérêt du roman réside donc dans le fait qu’il fut écrit par une jeune fille de 20 ans (il était difficile pour les femmes d’alors, non seulement de se faire publier, mais aussi d’écrire, c’est pourquoi elles prenaient souvent un pseudonyme masculin), bien que certaines réflexions de l’autrice ne sont pas sans rappeler quelques pensées bourgeoises et rétrogrades de George SAND. Quant aux pensées ébauchées vers la fin de ce roman, elles paraissent elles aussi bien conservatrices, voire patriarcales, en tout cas un brin confondantes.

Non pas que la lecture de ce roman fut une souffrance, elle fut au contraire une expérience. Mais vous vous attendez à des scènes torrides de deux corps enlacés, passez votre chemin, ici il n’est question que de fantasme et d’images à peine suggérées. Estampillé roman érotique, il est peut-être d’abord et surtout un roman de mœurs.

 (Warren Bismuth)



4 commentaires:

  1. Je préfère aussi les romans érotiques écrits par des femmes, c'est parfois plus subtil.

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    1. Tout à fait d'accord, les balourdises mâles me fatiguent puissamment dans ce genre d'exercice d'écriture.

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  2. Je découvre. Clairement, ce n'est pas le genre de la grande littérature... Mais je garde ce titre en tête, pour les moeurs de l'époque, il y aura peut-être des passages intéressants à faire en lecture à voix haute :-D

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    1. Oui certains passages peuvent être sauvés, mais ne t'attends pas à du chef d'œuvre empaqueté !

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