dimanche 26 juin 2022

Léon TOLSTOÏ « Un musicien déchu »

 


Au menu du mois pour le challenge « Les classiques c’est fantastique » orchestré (le mot n’est pas anodin) par les blogs Au milieu des livres et Mes pages versicolores, le thème « C’est dans l’art » a été retenu. Cela tombe bien car dépassait de ma besace ce « Un musicien déchu » de Léon TOLSTOÏ.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce texte – une nouvelle – de TOLSTOÏ n’est pas un inédit, puisqu’il est plus fréquemment apparu sous le titre « Albert ». Il avait premièrement été baptisé par l’auteur « L’homme perdu », mais c’est bien « Albert » qui fut finalement retenu lors de la rédaction en 1857.

Cet « Albert », nous le suivons tout au long de cette brève nouvelle. Musicien de génie mais miséreux en guenilles, il joue du violon avec une rare virtuosité dans un orchestre de théâtre. Mais il est sombre et semble malheureux de son quotidien, aussi il noie son chagrin dans l’alcool. Lors d’un bal à St Pétersbourg, il est remarqué par un certain Délessov qui, conscient de son immense talent et de sa rare dextérité, ne va pas tarder à le prendre sous sa coupe par opportunisme.

« Un musicien déchu » est une nouvelle des plus mélancoliques. Un génie qui s’ignore dans un cadre festif, un violoniste triste, ivrogne et apathique, un inconnu voyant en lui un musicien d’exception et qui tente vainement de se l’approprier de manière égoïste, imaginant l’argent qu’il pourrait se faire en lançant une carrière. Ce violoniste représente l’artiste pauvre, qui ne joue que pour le plaisir, alors qu’il pourrait percer et atteindre une prestigieuse renommée.

En  quelques dizaines de pages, TOLSTOÏ parvient à créer avec une certaine empathie l’ambiance d’une vie de clochard céleste. « Les souvenirs surgissaient d’eux-mêmes, et le violon d’Albert disait toujours la même chose. Il disait « Il est passé pour toi, il est passé à jamais, le temps de la force, de l’amour et du bonheur, il est passé et ne reviendra plus. Pleure-le, pleure toutes tes larmes, meurs au milieu des larmes pour ce temps-là – c’est le seul bonheur qui te reste, et le meilleur ».

Portrait tout en pudeur d’un homme qui a certes raté sa carrière, mais est demeuré libre, loin des conventions. Cet Albert est une image sans caricature d’un artiste qui est resté lui-même, quitte à vivre dans la pauvreté. Récit émouvant et sombre, il ne s’embarrasse pas de détails encombrants, va droit au but.

Ce texte n’est pas uniquement une fiction. TOLSTOÏ a rencontré Albert en janvier 1857, il s’appelait en fait Georges KIESEWETTER, violoniste et ivrogne, un génie poussé par l’autodestruction. TOLSTOÏ a en partie rédigé sa cette nouvelle à Dijon. À l’image de son héros, « Albert » ou « Un musicien déchu » ne connaîtra pas le succès.

« Dans l’art, comme dans tout combat, il y a des héros qui ont tout donné à leur mission et qui périssent sans avoir atteint leur but ».

 (Warren Bismuth)



5 commentaires:

  1. Merci pour la découverte de ce texte, je ne l'avais jamais croisé. Le sujet comme le ton me tentent très sérieusement. Je pars en quête :-) ( et puis, un petit Mille et une nuits, ça ne se refuse pas ).

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    1. Merci ! Et ce texte est également disponible dans plusieurs recueils de nouvelles !

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  2. Des Livres Rances27 juin 2022 à 10:46

    Et l'anonyme en question est aussi le blogueur !

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  3. J'ai l'impression de l'avoir lue cette nouvelle !

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  4. Celui-là il m'intéresse ! Le violon, Tolstoi... Je ne peux pas trop résister.

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