dimanche 27 avril 2025

Marina TSVÉTAÏEVA « Insomnie et autres poèmes »

 


Ce mois-ci le challenge mensuel « Les classiques c’est fantastique » du blog Au milieu des livres donne libre cours à notre imagination avec l’ample thème « Le XXe siècle à l’honneur ». Pour DLR, le XXe siècle littéraire, bien que fort productif et varié, est surtout celui des censures, interdictions, exils voire suicides ou assassinats d’écrivains qui ne faisaient que mettre en mots leurs impressions sur ce monde (déjà) malade. Une pensée particulière va presque naturellement vers le sort réservé aux auteurs russes qui ont payé peut-être plus que tout autre leur devoir d’information. Parmi ces parias, les femmes, bâillonnées et discriminées, qui pourtant n’ont pas désarmé. Un XXe siècle de la terreur où la figure de Marina Tsvétaïeva est peut-être l’une des plus iconiques.

Le recueil « Insomnie et autre poèmes » renferme plusieurs cycles de poèmes de Marina Tsvétaïeva (1892-1941) écrits à différentes périodes de sa vie et débute, après une préface de Zéno Bianu, par « L’amie », composé sur une année entre 1914 et 1915. Cycle désenchanté, douloureux sur des amours féminines, entre androgynie et lesbianisme dans un hiver interminable. Tsvétaïeva était alors amoureuse de Sophia Parnok, dite Sonia, qui lui échappait. Ce cycle est une plongée dans l’âme torturée de la poétesse. « Qui était le chasseur ? – Qui, la proie ? ».

Les « Poèmes sur Moscou » de 1916, toujours dans le recueil « L’amie », sont directement inspirés par la poétesse Anna Akhmatova (que Tsvétaïeva ne rencontrera qu’en 1941, quelques mois avant son suicide). Moscou et « La nuée d’églises » est sans conteste le personnage central du cycle. Tsvétaïeva était une amie proche du poète russe Alexandre Blok. Aussi elle lui dédie le cycle « Poèmes à Blok » en 1916 en fin de « L’amie ».

« Insomnie » est un cycle tortueux de 1916 à 1921 sur la peur de mourir si le corps s’assoupit. Mais c’est en fait le besoin de création nocturne, une insomnie provoquée par le devoir d'écrire. Tsvétaïeva y met en scène un immeuble insomniaque lors d’un long travelling. « Nuit, j’ai déjà trop regardé dans la pupille de l’homme ! / Réduis-moi en cendres, nuit, soleil noir ! ». Du même cycle est issu la série de poèmes « À Akhmatova » dont un dédié au poète russe Sergueï Essenine (en 1920), un autre à Vladimir Maïakovski dans ses « Poèmes épars » (les deux poètes finiront par se suicider).

« Après la Russie » écrit entre 1920 et 1925 est un cycle errant, sur les villes traversées par la poétesse durant son exil : Berlin, Prague, autant de lieux qu’elle a parcourus. La présence de Dieu y est forte, tout comme celle des amours déchirées et brumeuses. « Nous les poètes, nous rimons / Avec paria, mais sortis de nos berges / Nous disputons leurs dieux aux déesses / Et aux dieux des vierges princesses ! ».

« Le poème de l’air » de 1927 est un long poème obscur et arraché des tripes. Il est un hommage à la traversée de l’Atlantique en avion la même année par Charles Lindbergh. Puis viennent les « Poèmes des années 1930-1940 », avec notamment ce second hommage à Vladimir Maïakovski, mais cette fois-ci en forme de dialogue imaginaire entre lui et Sergueï Essenine. Dominé par la gouaille et l’atmosphère des rues, ce poème est peut-être le sommet du cycle, également par sa profonde différence avec les autres textes. Poème populaire autant qu’insurrectionnel, il semble être un petit frère des poèmes de Essenine. Puis le cycle évoque l’aube de la seconde guerre mondiale, nous sommes alors en mai 1939.

« Insomnie et autre poèmes » est un document parfait pour découvrir le travail d’écriture de Marina Tsvétaïeva, tout comme pour s’immerger dans le climat, si particulier, de son œuvre ainsi que l’évolution de son écriture, se faisant plus complexe, parfois plus inaccessible au fil des décennies. Il est aussi un témoignage poignant de la destinée des poètes russes en cette période, une photographie de la vie artistique errante d’alors, autant qu’un portrait de l’exil. Figure majeure de la littérature, de la poésie, Tsvétaïeva est aujourd’hui encore souvent célébrée, de nombreux artistes continuent de lui rendre hommage, c’est dire si son œuvre a marqué. Vaincue par les douleurs, les difficultés, l’incroyance en un monde meilleur, la désillusion absolue, Tsvétaïeva se suicide en 1941.

 (Warren Bismuth)



4 commentaires:

  1. Quelle merveilleuse idée de mettre Tsvetaeva à l’honneur ! Fabuleuse poétesse. J’ai lu ses Insomnies plusieurs fois.
    Et je suis d’accord, les auteurs russes (et notamment les autrices) ont payé un lourd tribu en ce XXe siècle.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Des Livres Rances10 mai 2025 à 14:25

      Je ne parviens pas à me lasser de la littérature russe, c'est même une addiction, mais pas dangereuse il me semble.

      Supprimer
  2. Je trouve aussi que c'est une excellente idée de mettre Tsvetaeva à l'honneur. Cette femme ne cesse de m'impressionner...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Des Livres Rances10 mai 2025 à 14:26

      Grande dame et grande poétesse.

      Supprimer