(Warren
Bismuth)
"JE CHANGEAIS SEULEMENT DE MOT ET C'EST CELA QUE J'APPELAIS DÉLIVRANCE" (Nikos Kazantzaki, extrait de "Alexis Zorba")
samedi 19 août 2017
Jim HARRISON « Wolf – Mémoires fictifs »
Attention document ! Ce roman est le premier sorti
par celui qui deviendra l’une des références majeures des lettres américaines
du XXème siècle. Ecrit en 1971, ce « Wolf » a comme sous-titre
« Mémoires fictifs ». On ne me le fera pas croire. En effet, le
narrateur, ce Swanson ressemble trop à Jim HARRISON lui-même pour que l’on y
voie une quelconque fiction : né en 1937, borgne depuis sa plus tendre
enfance, d’ascendance suédoise, mesurant à peine plus d’1 mètre 50, ayant perdu
son père et sa sœur lors d’un accident de voiture lorsqu’il n’avait que 19 ans,
ça ne vous rappelle personne ? Si ce roman se lit comme une fiction
déjantée, il s’agit bien là d’une autobiographie plus ou moins romancée, on
parlerait aujourd’hui d’une autofiction. Ah oui mais pas n’importe laquelle.
C’est celle d’un homme qui a parcouru les Etats-Unis en long en large et en
travers jusqu’à l’épuisement, qui a cherché la réconciliation avec la vie au
cœur d’une forêt, dans laquelle il va finir par se perdre. Il se remémore cette
vie chaotique faite, bien sûr, de femmes, d’alcool, de cigarettes à outrance et
de drogues diverses mais efficaces. À ce propos,
il me semble improbable voire impossible qu’HARRISON ait écrit ce bouquin à
jeun tant l’écriture est agitée, digressive en diable, confuse même. Mais une
confusion tout à fait salutaire, une confusion qui nous replonge dans un monde
disparu, celui des seventies, fait d’excès en tous genres, un monde où la
confusion mentale résultant notamment des psychotropes gouverne la jeunesse
rebelle. Roman truffé d’anecdotes pour la plupart tordantes, ce
« Wolf » est celui de l’insouciance, les petits boulots, les voyages
à l’arrache, la picole pour tenir le coup, le whisky vu et bu comme du café,
une grosse dose pour favoriser le réveil des troupes. Mais « Wolf »
est aussi le roman des premières désillusions face à la société américaine (car
c’est bel et bien un roman sociétal), des premières dépressions à la mort des
proches, le roman d’un avenir réduit où seul le moment présent doit compter.
HARRISON est ce libertaire (il a lu et apprécié KROPOTKINE) isolé et
contemplatif dans une Amérique guidée par le capitalisme, il s’évade par la
lecture (les références à l’un de ses maîtres DOSTOIEVSKI sont nombreuses), le
whisky, les gonzesses libérées, les grosses bagnoles pourries et la nature, la
sainte et divine nature, celle où la pêche est élevée à l’état d’art précieux.
Sacré phénomène que ce Jim ! Et cette écriture plus verte, plus argotique
que jamais qui nous mène avec un humour omniprésent à la table où l’alcool va
couler à flots. Un livre où la perversion est revendiquée en même temps qu’un
certain état d’urgence d’une jeunesse en quête de repères. « Wolf »
n’est pas vu comme le chef d’œuvre d’HARRISON, pourtant il aide à comprendre
tout le reste, ce qui va suivre…
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