mercredi 22 novembre 2017

Gisèle FOURNIER « Le dernier mot »


Résultat de recherche d'images pour "gisele fournier le dernier mot"

Une femme dont nous ignorons le nom décide de prendre la plume pour exprimer son mal-être, sa dépression et sa fatigue de vivre. De vivre dans les conditions actuelles de son environnement personnel. Son mari ne l’aime plus et la délaisse. Certes ensemble ils ont eu une fille (Émilie, enfant qu’elle ne voulait pas, la seule qui aura une identité dans ce roman, ce n’est pas un hasard) mais l’homme a accaparé celle-ci dès son adolescence par le biais de la peinture pour isoler la mère qui semble sombrer dans la folie. L’homme, volage, tente bien une virée du côté de l’Espagne pour que le couple se ressource et se ressoude puisque Émilie a quitté le domicile conjugal. Ils ne parviennent pas jusqu’à leur but. La femme se sent trop mal psychiquement, épuisée, comme détruite, victime d’un fardeau trop lourd à porter. Elle se sent en effet dénaturée, epiée en permanence, comme victime d’un vaste complot. Le couple s’arrête néanmoins dans un petit port. La femme voit dans un filet que remontent des pêcheurs un corps féminin, sans vie. Son mari n’y ayant vu que des poissons la décrédibilise. Pourtant, dans le journal du lendemain, un article fait part de la découverte d’une femme dans un filet de pêcheurs. Et si le mari était coupable ? Par sa dénégation ? Son attitude sur la défensive ? La femme en est certaine, quand ledit mari est retrouvé défenestré. Ce roman est découpé en deux parties distinctes : le carnet intime de la mère, tantôt en narratrice, tantôt témoin de sa propre vie, une seconde voix parlant à la troisième personne, qui serait une sorte de conscience, de lucidité, de garde-fou. La seconde partie est tenue par les écrits d’Émilie qui font écho à ceux de sa mère. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les évènements ne correspondent pas du tout à ceux relatés par la maman ! Un court roman qui traite de sujets graves comme l’alcoolisme, la persécution, mais surtout la mythomanie et la perversion narcissique, l’emprise puis la victimisation. L’écriture y est chirurgicale, d’une précision extrême, les phrases longues alternant avec les courtes. Comment un être peut-il manipuler ses proches avec constance et sans discernement ? Une plongée stupéfiante au coeur de cette mythomanie dont il paraît indéniable que l’auteure en fut victime, tellement les exemples et les actions du quotidien collent parfaitement avec celles dont se souviennent d’autres victimes, elles aussi abusées, trahies, et parfois détruites. Tout sonne ici comme du vécu, c’en est effrayant de lucidité et de réalité : les crises de nerfs, les espionnages incessants, les inventions sans fin, la terreur pesant sur les proches. Un roman indispensable pour celles et ceux qui souhaitent approfondir leur réflexion sur la perversion narcissique, pour bien prendre conscience qu’un destin aussi machiavélique peut entrer à tout moment dans notre vie et qu’il est urgent de s’en prévenir. Un bouquin qui pourrait être un récit, sorti en 2010 chez MERCURE DE FRANCE, sa lecture laisse des traces, fait resurgir, chez les victimes des faits, des situations du quotidien qui, si elles mettent mal à l’aise, permettent de constater que cette pathologie n’est pas un cas isolé, ce qui peut en quelque sorte rassurer, et se dire que toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé (dans notre parcours) n’est absolument pas fortuite. Le goût laissé est plutôt celui du dégoût, un roman salutaire pour faire explorer la dangerosité extrême des pervers.es narcissiques et donner des pistes concrètes. Si ce livre peut paraître une fiction, je peux vous assurer qu’en fin de compte il n’en est nullement une, c’est ce qui fait son poids et son implacabilité, un roman d’une immense force. Merci Madame FOURNIER !

(Warren Bismuth)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire