mercredi 28 mars 2018

Ugo BIENVENU « Sukkwan island »


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Cela fait un sacré bout de temps que j'ai pris mon taquet avec l'oeuvre de David VANN, « Sukkwan Island », où persistent encore les images, malgré les années écoulées, de la rigueur d'une île sauvage en Alaska, isolée, voire inaccessible quand vient l'hiver et ses chutes de neiges qui paraissent éternelles « il neige comme s'il ne devait pas y avoir de lendemain ».

À la faveur d'un détour par la médiathèque, je tombe sur l'adaptation faite du roman par Ugo BIENVENU en bande dessinée. Je déteste relire plusieurs fois les mêmes documents, j'ai trop d'oeuvres devant moi à lire pour prendre le risque de revenir en arrière. J'étais néanmoins curieuse de voir comment l'atmosphère si particulière, si violente de l'oeuvre originelle pouvait être restituée, voire interprétée.

Si la couverture est colorisée, la bande dessinée elle-même reste en noir et blanc, un choix qui me paraît fort judicieux pour entrer dans cet univers acétique de l'isolement. Les dessins sont crayonnés, les ombres exacerbées, les expressions faciales des personnages, amplifiées.

L'histoire est bien entendu identique à l'initiale : sur fond de drame familial plus ou moins explicité, un père choisit de s'isoler une année entière en compagnie de son fils pour fuir ses propres échecs et espérer se reconstruire tout en se rapprochant de son aîné. Dit comme ça, ça a presque l'air cool. Presque. Si dans le roman, la dépression du père est bien présente, dans l'adaptation BD elle est carrément omniprésente, et lourde. Lourde dans l'atmosphère et lourde de conséquences. Le père accumule les échecs : l'abri qu'il doit construire et pour lequel il n'est pas équipé, la radio qui doit fonctionner mais qui coupe à chaque discussion avec son ex-femme, ex-femme qui refait sa vie sur le continent d'ailleurs, et qui espère bien se remarier. L'absence totale de complicité avec l'enfant. On apprend de manière très crue l'échec du couple, de multiples tromperies entre les bras de femmes tarifées ou de secrétaire soit disant aguicheuse. Le père se livre sans retenue, oubliant qu'il n'est pas à la pêche avec un pote mais avec son fils, de 13 ans, à un âge où tout se joue. La mélancolie gagne l'enfant qui souhaite secrètement partir de l'île, qui supporte de moins en moins bien son père, mais qui préférera taire, jusqu'au bout, ses motivations, tant il craint de blesser son père.

La montée vers l'horreur se fait plus rapidement que dans le roman, les événements s'enchaînent plus vite et l'on assiste, impuissants lecteurs que nous sommes, à la descente aux enfers de ce père de famille qui perd totalement pied (et la boule accessoirement). Le tout est magnifiquement rendu par ce coup de crayon à la fois minimaliste et dense. Une seconde lecture de l'oeuvre qui ne m'a pas moins bouleversée que la première. C'est chez Denoël Graphic, et c'est paru en 2014, foncez à la médiathèque !

- « Vous venez de tuer quelqu'un ?
- Juste ma vie. »

 (Émilia Sancti)

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