lundi 28 mai 2018

Franz KAFKA « Un artiste du jeûne »


Recueil de quatre nouvelles de la fin de vie de KAFKA. Écrites entre 1922 et 1924 elles mettent toutes en scène des artistes. « Première souffrance » est de ces courtes nouvelles dont vous vous délectez puis vous souvenez par ses images obsédantes : un trapéziste qui ne vit que pour son trapèze, que SUR son trapèze au sein d’un cirque, qui a la nausée dès qu’il foule le plancher des vaches, et ainsi entre deux villes, lorsque la troupe voyage en train, se suspend dans le filet à bagages du compartiment afin de s’apaiser. Un récit tragico-burlesque détonnant.

Dans « Une petite femme », un personnage public est détesté viscéralement par l’une de ses proches (ils ne forment pas un couple), seulement cette dame a un besoin vital de la haine que lui inspire l’artiste, elle ne peut vivre ni sans cette aversion ni sans cet homme.

« Un artiste du jeûne » est particulièrement frappante, nouvelle amorcée par un hommage au jeûneurs professionnels de jadis que l’on venait voir, applaudir, encourager voire admirer dans des foires, elle dévie vers un homme, sorte de professionnel du jeûne, embauché par une troupe où, si son arrivée est tout d’abord vue d’un bon oeil par le public, va bientôt lasser jusqu’à ce que l’artiste tombe dans l’oubli. Nouvelle poignante et amenant un certain malaise.

Le recueil se termine avec cette « Joséphine la cantatrice ou le peuple des souris », dernier écrit de KAFKA alors qu’il est fortement atteint de tuberculose, magnifiquement rédigée en mars 1924, éditée du vivant de l’auteur en avril, KAFKA décédant le 3 juin suivant. Cette nouvelle met en scène une cantatrice qui « couine », qui « siffle » et qui pourtant magnétise ce peuple des souris prématurément vieilli et étiolé qui paraît entièrement dévoué à sa cause. C’est pourtant le déclin de cette chanteuse que l’on va suivre, une plongée au fond du gouffre, dans lequel est lui-même plongé KAFKA lorsqu’il l’écrit. Cette nouvelle est d’ailleurs parfaitement dans le style de KAFKA, faisant figurer des animaux au milieu d’humains jusqu’à ce que l’on finisse par se demander qui est l’animal et qui est l’humain.

Un recueil qui permet de mieux cerner la variété de tons d’écriture dans l’œuvre de KAFKA, qui aide à pénétrer dans l’univers unique de cet auteur, et qui est parallèlement un fort moment d’émotion puisque nous avons là une sélection des derniers écrits de l’auteur, avec une dernière nouvelle en forme d’adieu. Bien moins connues que d’autres nouvelles comme « La métamorphose », « La colonie pénitentiaire » ou « Le verdict », elle sont pourtant un élément indissociable de l’univers kafkaïen en même temps qu’un hommage poignant aux artistes, aux saltimbanques de tous poils.

Il vous faudra sans doute piocher ici et là pour lire ces quatre nouvelles, car si je vous les présente ainsi à la suite dans cette chronique, c’est qu’elles clôturent un volumineux recueil de 1500 pages intitulé « Franz KAFKA : Récits, romans, journaux », dont le contenu du sommaire laisse entendre qu’elles ont été publiées ensemble puisque regroupées distinctement et à part dans le sommaire. Cependant, après plusieurs recherches, il m’a été impossible de trouver trace de ce recueil des quatre récits : chacune des nouvelles est bien sûr disponible, mais jamais elles ne paraissent l’être ensemble sans aucune autre nouvelle ni aucun autre récit supplémentaire (elles le sont toutefois dans la collection Folio classique sous le nom « Un artiste de la faim » - merci à notre fidèle lecteur - mais agrémentées d’autres nouvelles), d’où mon hésitation avant d’introduire cette compilation de nouvelles possiblement fantôme. Dans ce cas, rien ne vous empêche de faire votre propre montage et de créer votre propre recueil tiré à un seul exemplaire, ça aurait franchement de la gueule, et je serais rassuré quant à cette publication du jour, mon perfectionnisme m’amenant à me demander si une chronique d’une compilation inexistante n’est pas un acte diabolique qui devrait être sanctionné par la sainte justice.

Si vous décidez d’investir dans ce « Récits, romans, journaux », sachez que l’on y retrouve les trois romans de l’auteur (aucun ne fut terminé) ainsi que ses premiers textes publiés, le recueil de nouvelles « Contemplations », le recueil de récits « Un médecin de campagne » et pas mal de nouvelles de diverses périodes. Un ouvrage absolument essentiel pour tout fondu de KAFKA qui se respecte.

(Warren Bismuth)

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