Bretagne,
quelque part dans les années 1950, un couple recomposé : Anne la
narratrice, mère d'un Louis issu d'un premier mariage avec Yvon, puis une
Jeanne et un Gabriel dont le père est Étienne, actuel compagnon d'Anne. Une
dispute éclate entre Étienne et Louis, 16 ans, certes pas la première, mais ce
coup-ci elle se termine par un coup de ceinturon du beau-père, le geste de
trop, Louis se tire. Son vrai père, Yvon, est mort en mer, en 1943. Eh oui, en
Bretagne on meurt souvent en mer ou à cause de l'alcool.
À
la perte de ce premier mari le chagrin d'Anne fut alors immense, incommensurable.
Étienne l'a comme ramenée à la vie (il faut dire qu’il lorgnait sur elle depuis
déjà pas mal de temps même lorsqu’elle était avec Yvon), ils se sont même
mariés en 1945, juste après la guerre, avec le petit Louis en guise de cadeau
pour Étienne. Seulement voilà, lorsqu’Anne tomba enceinte, Étienne commença à
s'acharner sur Louis, jusqu’au ceinturon fatal. Donc Louis s'est fait la malle.
En mer, comme papa. Ni Anne ni Étienne n'en savent plus. Chez eux, on ne parle
pas de Louis, sujet tabou, chacun souffre en solitaire, chagrin exclusif. Anne
écrit des lettres à son fils, dans lesquelles elle lui fait part de ce que sera
désormais leur vie ensemble, celle à venir, celle qu'ils vont reconstruire, à
nouveau à cinq, comme avant.
Dans
le village, les ragots, les rumeurs, les regards fuyants : Anne remariée à
peine veuve, puis ce fils adolescent qui fugue. En plus Anne et Étienne sont de
deux classes sociales différentes, un peu crasseuse et débraillée la Anne, pas
fréquentable. Un nouveau drame va se jouer, et ce n’est pas le plus printanier.
Avec
une infinie pudeur, Gaëlle JOSSE se glisse dans la souffrance d'un couple avec
une écriture minutieuse et intimiste, délicate, imagée, nostalgique par
moments. Et puis, alors que l'on ne s'y attend pas, apparaît un épisode méconnu
de la seconde guerre mondiale en Bretagne dont CHURCHILL fut l’un des protagonistes.
Car si ce roman n'est bien sûr pas historique, il est cependant bien ancré dans
une période, celle de la reconstruction d'un pays, d'un peuple, mais aussi
d'individus (on apprendra comment Yvon est mort en mer), travail de grande
ampleur pour les uns et les autres.
Toute
la sensibilité de Gaëlle JOSSE transpire à chaque page, la souffrance infligée
aux animaux afin qu'on les bouffe, les difficultés des familles recomposées comme
en calque de la renaissance d’après-guerre, la déchirure éternelle de la perte
d'un proche, l'impossible nouveau départ, les séquelles, la nausée, le
désenchantement. Le tout se lit très vite et c'est une pure régalade. Nous
reparlerons de cette auteure, ayez confiance ! Ce petit en-cas à déguster
entre deux gros pavés littéraires est sorti fin 2017 aux Éditions Noir sur
Blanc. Je reprendrais bien un amuse gueule, même si le terme ne sied pas
précisément à cette ambiance mortifère.
(Warren Bismuth)
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