Un petit objet sympa comme tout, à ranger
parmi la grande collection des « Inclassables ». Il peut être mis
dans le casier « Bandes dessinées », certes, mais l'écriture n'est
pas sur la même page que les dessins, la présentation n'est pas
« conventionnelle ». Et d'ailleurs, les dessins, parlons-en :
c'est de la linogravure pleine page, vous savez, ces sortes de pochoirs taillés
minutieusement dans du linoléum. Pour accomplir cette besogne scénario +
visuel, ils sont deux, le père et la fille. Le père au cutter et la fille au
stylo. En postface, la fille pleure la disparition du père, relate la passion
paternelle pour la linogravure, ça c'est pour les auteurs.
La trame à présent : une biographie
succincte, comme éclair, de Ned KELLY, « chef » d'une bande de
gangsters férocement inspirés par Robin des Bois. Marie-Eve DE GRAVE raconte
tout ça d'une manière simple, à l'américaine, de sorte qu'on a le sentiment
d'être plongé en plein western. D'ailleurs, pourquoi pas ? Ce gang a
existé à la fin du XIXe siècle, c'était certes en Australie, en Tasmanie plus
précisément, mais ils avaient des flinguots de compèt', du courage, se
situaient en dehors de la loi et n'avaient pas froid aux yeux. Puis les gravures
sont là pour nous rappeler l'ambiance western, d'autant que l'on sait d'entrée
que le sympathique Ned KELLY va se voir offrir un joli nœud coulant en guise de
pot de départ pour la Grande Inconnue, alors vu comme ça, on a du mal à ne pas
s'imaginer les grands espaces, la poussière laissée par les galops des chevaux,
la soif au coeur d'une nature déserte et aride, et la miraculeuse flasque de
whisky qui épanche.
La famille KELLY avait quelques
prédispositions pour le bordel ambiant. Le père, émigré irlandais, avait déjà
écopé de sept ans de taule en 1841 pour avoir chouravé deux cochons, il y
rendit son dernier souffle, Ned avait 12 ans, donc forcément ça marque.
Ned va être élevé en partie dans la
nature, apprendre la vie. À 16 ans, troisième (déjà !) expérience par la case
prison, trois ans pour vol de cheval, Ned parle d'erreur judiciaire. Une
famille KELLY qui selon la mère est poursuivie par la guigne. Pas faux, car
tout bascule à nouveau. D'un côté le frérot, Dan, qui file du mauvais coton en
subtilisant des chevaux, de l'autre FITZPATRICK, un flic ivrogne qui mate avec
un appétit un peu insistant la frangine de Dan et Ned. Il joue les fiers-à-bras
et vient un beau jour pour arrêter Dan dans l'enceinte familiale. La mère
l'assomme avec une poêle à frire. Un bilan respectable : maman KELLY au
trou, ses deux fils recherchés et têtes mises à prix. Western vous dis-je. Les
bambins en fuite, puis fusillade avec les flics, un représentant de l'autorité
sur le carreau, puis un autre, un troisième, ça commence à faire beaucoup.
C'est parti pour la survie en plein bush
avec excursions brèves dans la civilisation, braquage d'une banque pour
redistribution à des prisonniers expulsés de leurs terres. Les proches des
frères KELLY commencent à être inquiétés par les autorités. Alors le duo joue
la carte de l'intimidation : il déboule colts au vent dans un bureau de
police, y enferme deux flics dans une cellule et les fout à poil.
L'équipe KELLY est désormais traquée
pendant trois mois. Au programme : un déraillement de train aidés par des
complices, avec prise d'otages à la clé. Irruption des flics, nouvelles
fusillades, ça devient une manie. Dan le frangin s'écroule. Mort. Ned est
arrêté et, au cours d'un procès là aussi de trois mois, finalement condamné à mort
et exécuté le 11 novembre 1880. Il a 25 ans mais déjà un sacré vécu. Ainsi va
la vie. Vous avez remarqué ? Les deux prénoms des frangins mis à la suite,
Dan et Ned, c'est pas loin de donner un truc du genre « Damned ».
Superbe roman graphique sorti chez Hélium
en 2017. Ah, ne cherchez pas non plus à le classer niveau public à viser.
Certes l'histoire est racontée comme pour des ados, mais la violence, mais les
dessins, mais l'épilogue, avec cette destinée pas si éloignée de celle de
Bonnie & Clyde. En tout cas ça donne très envie de lire « La véritable
histoire du gang Kelly », biographie romancée de Peter CAREY, 400 pages de
2003 qui doivent sévèrement défourailler. On croisera peut-être son chemin un
jour, armés ou pas, mais avec une fiole de Scotch en guise de bavoir, ça c’est
plus sûr.
http://helium-editions.fr/
(Warren Bismuth)
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