mercredi 13 juin 2018

Patrick VARETZ « Rougeville »


Bienvenue à Rougeville, ancienne cité minière peu engageante située à 50 km de Lille. Le narrateur décide d’explorer cette ville qui l’a vu grandir, au moyen de Google street view, c’est-à-dire en restant chez lui. Il y note de nombreux changements depuis les années 60 ou 70, il la reconnaît à peine. Au gré de cette balade virtuelle, il se remémore son enfance, imbriquée avec les évolutions de la ville.

Contre toute attente, une voix surgit en italique, c’est Rougeville elle-même qui prend le stylo, le bourg qui se présente, refait son histoire, les dates marquantes, la grève des mineurs de 1948 interrompue par les chars, cinq morts, l’âge d’or entre 1921 (4500 habitants) et 1926 (14000 !), dont 8000 étrangers, principalement des polonais, pour venir extraire le charbon au péril de leur vie.

Et puis c’est « l’inexorable déclin », les années 60, la mine qui a mauvaise mine, les fermetures, la désertion, la trahison des habitants de Rougeville. « Mais qu’en est-il à présent, quand il y a de moins et de moins de travail et aucune perspective ? Pour exister, c’est comme partout : les gens n’ont de cesse de courir confier leur argent – celui bien souvent de l’allocation chômage ou des minima sociaux – aux grandes enseignes du commerce mondialisé (celles-là même qui répandent le vide autour d’elles). Au siècle dernier et au siècle d’avant, les puissants qui nous faisaient courber la tête habitaient encore de grandes maisons sous les fenêtres desquelles on pouvait – le cas échéant – aller défiler pour hurler sa colère. Mais aujourd’hui vers qui se tourner ? On ignore jusqu’à l’endroit où se cachent ceux qui nous ont abandonnés. C’est sans doute que chacun peu à peu se replie dans le silence, occupé – faute de mieux – à cultiver la haine de l’étranger qu’il a cessé d’être. Oui. Car c’est soi-même que l’on apprend ainsi à détester ».

La voici la montée de l’extrême droite, avec ses sympathisants qui sont parfois les descendants même des étrangers qui allèrent au turbin en sous-sol dans les années 20. S’incruste un bref hommage au « Germinal » de ZOLA.

Mais surprise, les italiques de narration citadine s’ouvrent désormais sur l’autobiographie d’un certain Rougeville ayant vécu la Révolution française, Waterloo et tout le reste, un affabulateur, un mythomane, un de plus.

L’auteur narrateur reprend les commandes, et cette fois-ci c’est sa propre autobiographie qui est noircie sur le papier. Réelle ? Supposée (Rougeville n’existe pas, certes, mais le reste ?) ? L’auteur laisse planer le doute dans ce petit bouquin au format plus petit qu’un « poche » et en seulement 90 pages (attention de ne pas paumer l’objet entre deux pavés) et signe ici une collaboration régionale avec un éditeur du Nord : La Contre Allée.


(Warren Bismuth)

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