Bienvenue à Rougeville, ancienne cité
minière peu engageante située à 50 km de Lille. Le narrateur décide d’explorer
cette ville qui l’a vu grandir, au moyen de Google street view, c’est-à-dire en
restant chez lui. Il y note de nombreux changements depuis les années 60 ou 70,
il la reconnaît à peine. Au gré de cette balade virtuelle, il se remémore son
enfance, imbriquée avec les évolutions de la ville.
Contre toute attente, une voix surgit en
italique, c’est Rougeville elle-même qui prend le stylo, le bourg qui se
présente, refait son histoire, les dates marquantes, la grève des mineurs de
1948 interrompue par les chars, cinq morts, l’âge d’or entre 1921 (4500
habitants) et 1926 (14000 !), dont 8000 étrangers, principalement des
polonais, pour venir extraire le charbon au péril de leur vie.
Et puis c’est « l’inexorable
déclin », les années 60, la mine qui a mauvaise mine, les fermetures, la
désertion, la trahison des habitants de Rougeville. « Mais qu’en est-il à présent, quand il y a de moins et de moins de travail
et aucune perspective ? Pour exister, c’est comme partout : les gens
n’ont de cesse de courir confier leur argent – celui bien souvent de
l’allocation chômage ou des minima sociaux – aux grandes enseignes du commerce
mondialisé (celles-là même qui répandent le vide autour d’elles). Au siècle
dernier et au siècle d’avant, les puissants qui nous faisaient courber la tête
habitaient encore de grandes maisons sous les fenêtres desquelles on pouvait –
le cas échéant – aller défiler pour hurler sa colère. Mais aujourd’hui vers qui
se tourner ? On ignore jusqu’à l’endroit où se cachent ceux qui nous ont
abandonnés. C’est sans doute que chacun peu à peu se replie dans le silence,
occupé – faute de mieux – à cultiver la haine de l’étranger qu’il a cessé d’être.
Oui. Car c’est soi-même que l’on apprend ainsi à détester ».
La voici la montée de l’extrême droite,
avec ses sympathisants qui sont parfois les descendants même des étrangers qui
allèrent au turbin en sous-sol dans les années 20. S’incruste un bref hommage
au « Germinal » de ZOLA.
Mais surprise, les italiques de narration
citadine s’ouvrent désormais sur l’autobiographie d’un certain Rougeville ayant
vécu la Révolution française, Waterloo et tout le reste, un affabulateur, un
mythomane, un de plus.
L’auteur narrateur reprend les commandes, et
cette fois-ci c’est sa propre autobiographie qui est noircie sur le papier.
Réelle ? Supposée (Rougeville n’existe pas, certes, mais le reste ?) ?
L’auteur laisse planer le doute dans ce petit bouquin au format plus petit
qu’un « poche » et en seulement 90 pages (attention de ne pas paumer
l’objet entre deux pavés) et signe ici une collaboration régionale avec un
éditeur du Nord : La Contre Allée.
(Warren
Bismuth)
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