dimanche 9 septembre 2018

Carole FIVES « Tenir jusqu’à l’aube »


Rentrée littéraire 2018, Carole FIVES circule dans pas mal de groupes féministes de la toile, je tente ma chance avec « Tenir jusqu'à l'aube ». Une couverture épurée, une femme qui nous tourne le dos, tout est fait pour que l'on s'identifie. Agréablement chapitré et aéré, entre récit quotidien et extraits de forum, ce roman se lit comme un documentaire. La fable de « la chèvre de monsieur Seguin » vient apporter son éclairage au récit.

« Elle », mère célibataire (madame Leroy, à la fin du roman) vit au 6ème étage droite, avec l'enfant. Pas de père dans ce décor, il a manifestement fichu le camp sans préavis, en laissant planer la possibilité d'un retour, incarnée dans un gilet XXL ou dans un SMS sibyllin. « Elle » se débat : impayés trop nombreux et visite d'huissier, perte de sa féminité, paradoxes et incohérences d'un système dont les injonctions contradictoires mènent au burn-out, maternel et professionnel. Mise à l'écart du monde professionnel, mise à l'écart des autres, à commencer par les voisins, qui se méfient comme de la peste de cette mère célibataire qui vit en vase clos avec l'enfant, mise à l'écart de la tendresse, des étreintes, femme fatiguée et éteinte par les galères. L'attente est au centre du roman, la (re)construction aussi : il s'agit de mourir ou de s'en sortir. La narratrice ose tout : les journées marathon à travailler chichement au rythme des siestes du petit, les courses interminables pour atteindre la seule crèche qui lui octroie une place et donc une chance de refaire son carnet d'adresses. Sa seule respiration : s'enfuir. L'enfant fait ses nuits, alors elle choisit de se laisser happer par la nuit, par les bords du Rhône. Là elle est libre le temps que lui laisse son chronomètre, de plus en plus longtemps, elle s'aventure de plus en plus loin, à la recherche de tout ce qu'elle a dû mettre entre parenthèse.

Je craignais sa trivialité, j'en ai retiré de l'émotion. Plaidoyer à la douceur et à l'indulgence, à la bienveillance, il faut batailler contre les préjugés. Internet, la toile fabuleuse aux mille informations est jugeante, moralisatrice, vieux jeu, elle relaie le climat ambiant qui enferme les mères célibataires dans des carcans, difficiles à briser. La narratrice y trouve, mêlées, des informations de qualités discutables et des discours hargneux, méprisants, jugeants. Être mère célibataire n'est pas un état dans lequel on se met mais plutôt un état dans lequel on est propulsé, car la société nous renvoie inlassablement à cet état d'être élevant seul son enfant. Les hommes sont absents de ces 177 pages, ou presque : un père qui brille par son absence, tant physiquement que financièrement, un grand-père présent par bribes mais sporadiquement, un inconnu qui étreint. Des regards. Le voisin qui l'ignore. Le vide. Seul le petit garçon nous offre des parenthèses d'espoir « il était drôle, joyeux la journée pour compenser l'angoisse de la nuit » (p. 134).

Aussi intéressant que « La femme brouillon » d'Amandine DHEE (chroniqué le 18 juin 2018) bien que dans un autre registre, les ouvrages se complètent l'un l'autre, à mon sens.

Jusqu'où va aller la narratrice dans sa fuite éperdue ? Je vous invite chaudement à le découvrir dans ce roman résolument optimiste, féministe, fort et courageux.

Une pensée à toutes ces femmes guerrières.
(Emilia Sancti)

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