« Le roseau » : recueil de 26
poèmes assez variés tant par la longueur que par les thèmes, écrits entre 1924
et 1944, dont une partie ne possède pas de titres. La poétesse russe puis
soviétique y évoque l’amour, mais pas celui des cartes postales, plutôt celui
qui fait mal, qui déchire et marque les esprits à jamais. La nostalgie figure
en bonne place, cette année 1916 semble avoir été une période charnière, une
dernière année de bonheur, regrettée car considérée comme insouciante. C’est en
octobre 1917 que survient la révolution russe, et même si AKHMATOVA ne semble
pas la décrier, elle repense aux années antérieures, celles précédant le grand
soir surtout. La mort, bien sûr (nous sommes chez les russes donc pour une
soirée calembours il faudra repasser), omniprésente : « Lentement roulaient les landaus des morts
d’aujourd’hui ».
Plusieurs poèmes sont consacrés à des
figures qui ont marqué Anna AKHMATOVA (1889-1966) : POUCHKINE (à qui elle
a souvent été comparée), LERMONTOV, PASTERNAK (son vieil ami), MAÏAKOVSKI, mais
aussi DANTE et CLEOPÂTRE. Ne pas oublier une autre figure historique : la
ville de Leningrad, en 1941, ainsi que la ville de Voronev. La nature joue son
rôle, certes diluée mais donnant comme l’air qu’elle produit une grosse respiration
au milieu de la noirceur.
L’amour en forme d’urne funéraire,
encore :
« Je bois à la maison saccagée,
À
ma vie mauvaise,
À
notre solitude à tous deux,
Et
je bois à toi,
À
tes lèvres menteuses,
Au
froid mortel de tes yeux,
Parce
que le monde est dur et brutal,
Parce
que Dieu n’a rien sauvé »
Des
poèmes dégraissés, vidés de leur surplus, se présentant décharnés, expurgés,
peu de mots, chacun possédant un poids bien spécifique. Ce recueil est
posthume, puisque comme nombre des écrits d’AKHMATOVA, il fut interdit en
U.R.S.S.
Après
« Le roseau », place au recueil le plus connu de AKHMATOVA :
« Requiem ». Écrit entre 1935 et 1940, en pleine terreur stalinienne
(au paroxysme des purges), accompagné de deux poèmes rédigés en 1957 et 1961.
L’auteure s’y fait plus tranchante, plus incisive, sa plume est glaciale.
« Non,
ce n’est pas sous des cieux étrangers,
Pas sous la garde d’ailes
étrangères,
J’étais là avec mon peuple, là
même
Où par malheur mon peuple se
trouvait ».
La
mort, encore et toujours, obsédante, envahissante, annihilante. Les titres des
poèmes donnent le ton : « L’arrêt », « À la mort »,
« Crucifixion », « Épilogue », et j’en passe pour ne pas
vous miner le moral. Poèmes parfois très brefs, parfois s’étendant sur
plusieurs pages. En U.R.S.S., ce « Requiem » ne fut autorisé qu’à
partir de 1987, il avait été publié en France, dès 1966 par les Éditions de
Minuit, et encore avant en Allemagne, en 1963.
Ce
recueil déchirant, à ne pas lire si notre mental est un brin érodé, fut publié
en 2007 par les Éditions Harpo & qui proposent une jolie préface pour un
objet absolument magnifique avec papier épais résistant aux larmes.
(Warren Bismuth)
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