Nul besoin
d’avoir fait 41 fois le tour de la terre ni d’avoir dormi dans des igloos pour
se sentir voyageur et aventurier. C’est ce que nous écrit Christophe DABITCH
dans ce singulier récit de voyage dans lequel, dès le préambule, il prévient
son monde quant à son choix de « marcher » sur le 45e
parallèle nord en France : « À
égale distance du pôle Nord et de l’Équateur, entre les grands froids et les
grands chauds, on dit de ce parallèle qu’il incarne la tempérance et
l’équilibre, un rapport d’échange ».
Christophe
DABITCH, natif de Bordeaux et déjà auteur de plusieurs livres, a (un peu) préparé
son parcours, ce sera certes ce désir de suivre au plus près le 45e
parallèle nord en France, mais de l’effectuer dans le département plutôt rural
de la Dordogne. Vous possédez toutes les données avant de vous glisser dans les
pas de Christophe et ses trois compagnons. Suivez-moi.
Christophe
DABITCH est en effet accompagné de trois amis : Nicolas pour la postérité
derrière son appareil photo, Frédéric au son et Patrick aux godasses, l’autre marcheur.
Le périple va se faire au jour le jour, pas trop de plan défini, un vrai désir
d’une aventure unique. Alors les quatre z’amis vont improviser, dormir chez
l’habitant. S’ils ont décidé de chausser les pompes de randonnée en octobre,
c’est qu’à cette époque-là il est plus aisé de glaner des fruits, plein de
fruits, mûrs et juteux, car le quatuor souhaiterait être le plus proche
possible de l’autosuffisance et de l’entraide.
Bien sûr,
dans pareil exercice les rencontres ne manquent pas, elles sont même
quotidiennes devant l’aspect un peu « original » du but. Les
habitants questionnent, mais interviennent aussi : « Dans les discussions autour d’un verre, il
est assez étonnant de parler du parallèle nord, car on ne peut presque rien en
dire ni rien en tirer, sinon la certitude de son passage à l’endroit où nous
nous trouvons. Ces habitants savent que le 45e passe par là, quelque
part, parfois même précisément au croisement d’un champ, d’un bois, d’une rue.
Ils en connaissent la présence et je sens que quelque chose les y relie ».
Salut fraternel aux autos et leurs autochtones pour une balade poétique (la
langue est bien menée, bien traitée, elle n’en sortira que grandie).
D’ailleurs,
qu’est-ce donc que ce 45e parallèle nord ? L’auteur se pose
pour nous éclairer, et en profite pour donner quelques détails sur le méridien
de Greenwich, comment et pourquoi il a été choisi en tant que référence en
1884.
Et puis des
rencontres, des milieux, des bouts de nature qui font décoller la machine à
remonter le temps : évocation de temps plus ou moins anciens, souvenirs dilués,
une petite digression hors sujet, pleine de tendresse ou d’horreur (cette
maison noire rappelant la Bosnie et des dizaines de massacrés dans la
population civile pendant la guerre civile). Mais la nature reprend ses
droits : l’odeur, les animaux (en liberté ou domestiqués), les arbres, les
prairies, les traces de l’homme, les ponts traversés au-dessus des rivières et
ruisseaux. La campagne est pleine de surprises : séquence voyeurisme avec
un inconnu habillé en femme dans son jardin, ou encore cette aire de golf comme
venant d’un autre monde et d’une époque futuriste : « Avec parfois des îles étranges, comme ce golf, caricature verdoyante de
perfection et de maîtrise avec son idéologie de tondeuse à gazon, où l’on
éprouve le soudain désir d’être chef d’une armée conquérante de taupes ».
Car l’auteur ne manque pas d’humour et il le fait partager.
Quelques paragraphes
sur la science, l’astronomie, la rotation de la Terre, et puis le retour sur
les chemins cahoteux et secs de Dordogne. Petites touches du témoignage du
passé par des constructions faites jadis de la main de l’humain et qui représentent
aujourd’hui une période révolue, comme anachroniques.
Et d’abord,
ce n’est pas que de la marche, mais une recherche plus spirituelle vers un bien
être, une fatigue positive, la satisfaction de la souffrance physique. C’est un
sacerdoce mais aussi un besoin vital, une pause dans le quotidien :
« La marche devient un travail
absolu qui occupe les jours, une répétition rassurante, un mouvement qui nous
transforme en nomades sortis de nos vies. Nous sommes socialement en
suspension, en récréation, et presque plus rien d’autre, sinon le repas chaud
du soir, ne compte. L’alternance d’épuisements et de souffles retrouvés joue
son rôle ».
L’auteur va
nous présenter quelques figures disparues, comme celle d’Albert DADAS qui a porté
dans sa vie, en fin de XIXe siècle, la marche sur un piédestal de marbre, en
faisant une sorte de divinité. Quand DABITCH sort de ses rêveries, c’est pour
croiser des randonneurs outillés et harnachés se rendant à Compostelle. Mais
aussi (et surtout ?) pour admirer les arbres, véritables héros de cette
marche : « Un chêne se penche
lourdement sur le pré. Un autre, au tronc blanchi, dégarni, dont certaines
branches tordues se dressent encore, est à terre ».
En fin de
volume, par les simples informations offertes il est possible de recréer cette
randonnée à laquelle nous a invité l’auteur : toutes les communes
traversées, tous les lieux-dits (certains avec des noms assez croquignolets)
sont cités. Puis le marcheur, épuisé, semble touché soit par la grâce soit par
une insolation en fournissant quelques interprétations que pourrait penser un
extra-terrestre en atterrissant sur le parallèle numéro 45. Court exemple pour
donner l’eau à la bouche : « Représentant
de la sous-espèce noble, qui déclare : ‘La Révolution a beaucoup pris à ma
famille, vive la République !’ (cas étrange, à placer en observation) ».
Laissez-moi
vous livrer le fond de ma pensée : Un homme qui en pleine randonnée, de
surcroît à but inutile, cite comme référence Edward ABBEY, a tout de suite
droit à mon plus grand respect, il se pourrait même que je le tutoie assez
promptement.
Ce petit
bouquin de moins de 130 pages, qui se lit d’une traite avec une bouteille de
flotte fraîche et un peu de tabac à rouler, fait du bien en cette période
printanière, il est sorti fin 2018 aux petites éditions Signes et Balises dont
nous reparlerons par ailleurs très prochainement tant pour la qualité des choix
littéraires que du matériau (superbe papier épais et format poche à couverture
soignée en couleur). Allez zyeuter leur catalogue, il donne soif d’aventure !
Et munissez-vous de bons godillots de marche et de jumelles.
(Warren Bismuth)
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