dimanche 28 avril 2019

Maylis de KERANGAL « Kiruna »


Un site minier de premier ordre au cœur de ce récit : celui de la société suédoise LKAB implanté à Kiruna (ville sortie du sol pour la mine), un site de tous les records : plus grande mine de fer au monde, ville la plus septentrionale de Suède, elle en est aussi la plus grande Commune en surface, minerai le plus pur du monde, plus grand réseau routier souterrain au monde (400 kilomètres de galeries).

Le tableau est gigantesque : 1700 employés dans des mines creusées jusqu’à 1365 mètres sous terre, ce qui a fragilisé le sol dont des parties menacent de s’effondrer. Aussi il a été décidé de construire une nouvelle ville à quelques kilomètres, plus sécurisée, un Kiruna II, afin que les salariés de cet énorme site restent sur place, leur exode serait catastrophique pour l’économie locale et nationale. Alors il va se constituer un chantier dans le chantier, un projet démesuré au sein d’un site démesuré dans une région où l’imaginaire collectif voit plutôt un ciel calme et sans aspérités : la Laponie.

Oui, tous les chiffres donnent le vertige en ce lieu : « LKAB. Soit 1,1 milliard de tonnes de minerai extraites en 115 ans, la mine ayant été ouverte en 1899. Ou encore 25,5 millions de tonnes de minerai extraites en 2013 – l’équivalent d’une tour Eiffel par jour aime-t-on dire ici ».

Maylis de KERANGAL s’est rendue en Suède (pour la première fois de sa vie), à Kiruna. Elle est guidée par Lars, employé de la LKAB au département de la communauté de la mine. Il va lui expliquer en détails l’histoire de cette mine, souterraine depuis 1965, mais construite dès la toute fin du XIXe siècle, engendrant violence, alcool, mal-être dans la ville et sur site, un site qui bien sûr a attiré les voyous, pour des trafics en tout genre. L’histoire de Kiruna n’est pas de tout repos. Maylis de KERANGAL la compare au Klondike, cette région immortalisée par jack LONDON où des néophytes se découvrant une âme de chercheurs d’or partaient faire fortune avec deux trois outils inadaptés, pour nourrir les familles. La mine de Kiruna s’est installée au moment même où le Klondike déclinait, même s’il n’y a aucun rapport.

L’auteure note les témoignages de divers employés de la mine, de femmes surtout, qui ont dû jouer des coudes pour faire leur place dans un métier d’hommes, violent et sans pitié. Portrait d’Alice, cadre française, qui a tenté sa chance, a rencontré un homme, ça l’aide à tenir. « De fait, à Kiruna comme ailleurs, la relation des femmes à la mine peut se lire comme une longue descente, comme l’histoire de la conquête lente, progressive d’un espace interdit. L’accès au monde souterrain leur fut longtemps défendu, les employer « au fond » étant tout simplement illégal ».

Voilà, il va falloir déplacer la ville, 20000 habitants à reloger, chantier monstrueux en cours. Entre fascination et épouvante pour une société humaine sans limites. Récemment, des migrants érythréens ont débarqué à Kiruna, dans le froid piquant dont a par ailleurs souffert l’auteure, ils seront peut-être fort utiles à la reconstruction dans ce monde où les jours puis les nuits n’en finissent pas.

Un récit court, dense et charpenté, dans lequel fleurissent force détails historiques ou techniques. Maylis de KERANGAL réussit parfaitement son coup : intéresser le lectorat sur un site méconnu en Hexagone, mais aussi défi littéraire car ce texte est tout simplement beau et fort bien écrit, il se lit comme on boit du petit lait, d’un trait. C’est à la fois crémeux et digeste, paru tout récemment (début 2019) aux toujours inspirées éditions de La Contre Allée.


(Warren Bismuth)

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