mardi 30 avril 2019

Jim HARRISON « Un sacré gueuleton – manger, boire et vivre »


Faites sauter les goupilles ! Va falloir desserrer les ceintures, prévoir une bonne potion digestive et capitonner les foies contre les agressions alcoolisées. En effet, ce bouquin posthume de Jim HARRISON va vous amener à table, pour des orgies de bouffe et de picole à faire vomir n’importe quelle personne normalement constituée.

Un livre de chroniques. Culinaires surtout. Avec tous les pinards possibles et inimaginables pour lesquels HARRISON montre qu’il était fin connaisseur, le sentiment que tous les vignobles français sont cités dans cette véritable encyclopédie de la mangeaille et du vin rouge. Mais l’auteur va révéler par ces chroniques gloutonnes de nombreux traits de son caractère, ce qui ravira ses fans. Et puis l’humour, toujours, un déferlement de bons mots et de situations cocasses, une avalanche de rigolade grand cru.

HARRISON fut un bon vivant. Il a bâfré, bu, baisé comme un ogre. Il ne se gêne pas pour le rappeler à peu près à chaque page du présent ouvrage. Le « sacré gueuleton » est en fait cette monstrueuse bombance qu’il fit, entouré de quelques chefs, en Bourgogne. Douze heures non stop durant lesquelles défilèrent 37 plats et (seulement écrira-t-il) 19 vins. Rien que le chiffre donne la nausée. Mais au-delà du titre, c’est bien un HARRISON voyageur qui, en fin gourmet, et comme un guide Michelin, donne ses appréciations des restaurants qu’il a côtoyés un peu partout dans le monde, notamment en France, pays qu’il chérissait.

Vous voulez du gras ? Vous allez être servis dans tous les sens du terme ! Même ses hôtes partageant ses repas le sont. Deux exemples en mémoire : Orson WELLES et Gérard DEPARDIEU (un proche). À la lecture de ces gargantuesques chroniques, il n’est pas interdit de penser au film « La grande bouffe », sauf que là personne ne meurt d’indigestion. HARRISON l’avoue : la passion de la bouffe l’a pris tout petit. « Alors galopin en CM1, on m’a renvoyé chez moi sous prétexte que j’avais mangé des poireaux à la récré et que mon haleine empestait la salle de classe ».

HARRISON a toujours pensé que la liberté d’expression était bien plus présente en France que chez lui aux États-Unis (sans doute parce qu’il y vendait plus dans le premier pays) : « Il y a des années à Chicago, on m’a demandé ce que je ressentais après le décès récent de Nixon et j’ai répondu qu’on devrait lui enfoncer un pieu dans le cœur pour s’assurer qu’il était bien mort. Le journal a refusé de reproduire mes paroles ! À Pais, au contraire, quand j’ai déclaré qu’en tant que gourmand, je ne pourrais jamais être un politicien, car ces gens-là chient par la bouche, ce qui aurait gâché mes expériences gastronomiques, le journal m’a cité in extenso ». Car HARRISON parle aussi de politique dans ce recueil : même s’il est démocrate, plutôt de gauche chrétienne, il ne croit guère au grand chef (non cuisinier) dont le programme deviendra un remède miracle.

Le titre de l’une des chroniques sonne comme le trio obsessionnel du père Jim « La bouffe, le sexe et la mort ». Car il est beaucoup question de mort, notamment lorsque l’auteur devient vieux et que son corps ne répond plus dans le cockpit, lorsque de nombreuses maladies viennent plomber le moral et le dîner. HARRISON se livre sans fards sur son diabète, sa goutte, le zona, ses calculs rénaux qui lui font souffrir le martyr.

Il se fait philosophe cinglant : « Je constate que je découvre souvent des choses que beaucoup de gens savent déjà. Ce qui me rappelle un fait indiscutable : quand nous avons découvert le Grand Canyon, mille indiens Havasupai y vivaient déjà ».

La mort le taraude, son ombre approchant : « À mon âge, chaque mot que j’écris est peut-être le dernier », lui qui a tant tué d’animaux dans sa vie, en chassant incessamment. Lorsque comme moi on a décidé de se passer de viande pour survivre, il est parfois difficile de lire certains passages participant activement au génocide animal, HARRISON parlant tout au long de ces chroniques de centaines voire de milliers de têtes de gibier abattues pour exciter ses papilles gustatives, ça sent le carnage de haute volée, et aucun détail ne vous sera épargné. Mais l’humour permet de tout digérer ou presque, et les images d’HARRISON sont à se tordre de rire : « Sonia jouait Hello Dolly et souriait de sa mâchoire prognathe qui me rappelait ces énormes machines utilisées pour la réfection des autoroutes, ces engins qui engloutissent et broient le ciment ». Il se fait écologiste, sans jamais perdre ce sacré sens de l’humour : « Nous sommes aussi déplorables que le plastique au milieu duquel nous survivons. Une immense partie de l’océan Pacifique est recouverte de plastique, lequel est notre héritage. Depuis la nuit des temps, nous avons chié dans le bac à sable en nous accordant des récompenses pour cela ».

Bien sûr le recueil est parsemé de son amour pour la littérature : DOSTOÏEVSKI surtout (et la littérature russe en général), mais aussi BALZAC, KAFKA, MACHADO (pour lequel il partira en quête de poèmes perdus, mais tout se terminera en orgie dînatoire), les auteurs de la beat generation, et bien sûr les poètes, d’où qu’ils soient. Car HARRISON s’est toujours considéré avant tout comme un poète : « Écrire des poèmes c’est comme extraire le sang des pierres ». Il revient sur sa propre œuvre, déclinant certains de ses romans, certaines de ses novellas. Il paraît avoir vécu mille vies, a même participé à un groupe de rock dans sa jeunesse, du doux nom de VINCE VAN NO GOD AND HIS POOR BUT PROUD CROWD, un nom qui sonne bizarrement aux oreilles d’un croyant comme Jim.

Comment son corps a pu encaisser de telles attaques quotidiennes de surdoses de bouffe, d’alcool et bien sûr de cigarettes ? Par la marche explique l’auteur, intensive, tous les matins, avec son chien, dans les bois, les forêts, les bords des rivières, un pied devant l’autre, répété des millions de fois. Malgré tout ce qu’il a fait endurer à sa carcasse, l’homme est parvenu jusqu’à 79 ans. Celui qui a déclaré le kafkaïen « Je n’ai jamais été l’homme que j’étais autrefois » a croqué la vie à pleines dents. Il vous faudra un estomac particulièrement solide et rembourré pour lire ce jubilatoire recueil sorti fin 2018, vos zygomatiques vous en remercieront, votre panse et votre foie sans doute moins.

(Warren Bismuth)

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