Faites sauter les goupilles ! Va
falloir desserrer les ceintures, prévoir une bonne potion digestive et
capitonner les foies contre les agressions alcoolisées. En effet, ce bouquin
posthume de Jim HARRISON va vous amener à table, pour des orgies de bouffe et
de picole à faire vomir n’importe quelle personne normalement constituée.
Un livre de chroniques. Culinaires
surtout. Avec tous les pinards possibles et inimaginables pour lesquels
HARRISON montre qu’il était fin connaisseur, le sentiment que tous les
vignobles français sont cités dans cette véritable encyclopédie de la
mangeaille et du vin rouge. Mais l’auteur va révéler par ces chroniques
gloutonnes de nombreux traits de son caractère, ce qui ravira ses fans. Et puis
l’humour, toujours, un déferlement de bons mots et de situations cocasses, une
avalanche de rigolade grand cru.
HARRISON fut un bon vivant. Il a bâfré,
bu, baisé comme un ogre. Il ne se gêne pas pour le rappeler à peu près à chaque
page du présent ouvrage. Le « sacré gueuleton » est en fait cette
monstrueuse bombance qu’il fit, entouré de quelques chefs, en Bourgogne. Douze
heures non stop durant lesquelles défilèrent 37 plats et (seulement
écrira-t-il) 19 vins. Rien que le chiffre donne la nausée. Mais au-delà du
titre, c’est bien un HARRISON voyageur qui, en fin gourmet, et comme un guide
Michelin, donne ses appréciations des restaurants qu’il a côtoyés un peu
partout dans le monde, notamment en France, pays qu’il chérissait.
Vous voulez du gras ? Vous allez être
servis dans tous les sens du terme ! Même ses hôtes partageant ses repas
le sont. Deux exemples en mémoire : Orson WELLES et Gérard DEPARDIEU (un
proche). À la lecture de ces gargantuesques chroniques, il n’est pas interdit
de penser au film « La grande bouffe », sauf que là personne ne meurt
d’indigestion. HARRISON l’avoue : la passion de la bouffe l’a pris tout
petit. « Alors galopin en CM1, on
m’a renvoyé chez moi sous prétexte que j’avais mangé des poireaux à la récré et
que mon haleine empestait la salle de classe ».
HARRISON a toujours pensé que la liberté
d’expression était bien plus présente en France que chez lui aux États-Unis
(sans doute parce qu’il y vendait plus dans le premier pays) : « Il y a des années à Chicago, on m’a demandé
ce que je ressentais après le décès récent de Nixon et j’ai répondu qu’on
devrait lui enfoncer un pieu dans le cœur pour s’assurer qu’il était bien mort.
Le journal a refusé de reproduire mes paroles ! À Pais, au contraire,
quand j’ai déclaré qu’en tant que gourmand, je ne pourrais jamais être un
politicien, car ces gens-là chient par la bouche, ce qui aurait gâché mes
expériences gastronomiques, le journal m’a cité in extenso ». Car
HARRISON parle aussi de politique dans ce recueil : même s’il est démocrate,
plutôt de gauche chrétienne, il ne croit guère au grand chef (non cuisinier)
dont le programme deviendra un remède miracle.
Le titre de l’une des chroniques sonne
comme le trio obsessionnel du père Jim « La bouffe, le sexe et la
mort ». Car il est beaucoup question de mort, notamment lorsque l’auteur devient
vieux et que son corps ne répond plus dans le cockpit, lorsque de nombreuses
maladies viennent plomber le moral et le dîner. HARRISON se livre sans fards
sur son diabète, sa goutte, le zona, ses calculs rénaux qui lui font souffrir le
martyr.
Il se fait philosophe cinglant :
« Je constate que je découvre
souvent des choses que beaucoup de gens savent déjà. Ce qui me rappelle un fait
indiscutable : quand nous avons découvert le Grand Canyon, mille indiens
Havasupai y vivaient déjà ».
La mort le taraude, son ombre approchant :
« À mon âge, chaque mot que j’écris
est peut-être le dernier », lui qui a tant tué d’animaux dans sa vie,
en chassant incessamment. Lorsque comme moi on a décidé de se passer de viande
pour survivre, il est parfois difficile de lire certains passages participant
activement au génocide animal, HARRISON parlant tout au long de ces chroniques
de centaines voire de milliers de têtes de gibier abattues pour exciter ses
papilles gustatives, ça sent le carnage de haute volée, et aucun détail ne vous
sera épargné. Mais l’humour permet de tout digérer ou presque, et les images
d’HARRISON sont à se tordre de rire : « Sonia jouait Hello Dolly et souriait de sa mâchoire prognathe qui me
rappelait ces énormes machines utilisées pour la réfection des autoroutes, ces
engins qui engloutissent et broient le ciment ». Il se fait
écologiste, sans jamais perdre ce sacré sens de l’humour : « Nous sommes aussi déplorables que le
plastique au milieu duquel nous survivons. Une immense partie de l’océan
Pacifique est recouverte de plastique, lequel est notre héritage. Depuis la
nuit des temps, nous avons chié dans le bac à sable en nous accordant des
récompenses pour cela ».
Bien sûr le recueil est parsemé de son
amour pour la littérature : DOSTOÏEVSKI surtout (et la littérature russe
en général), mais aussi BALZAC, KAFKA, MACHADO (pour lequel il partira en quête
de poèmes perdus, mais tout se terminera en orgie dînatoire), les auteurs de la
beat generation, et bien sûr les poètes, d’où qu’ils soient. Car HARRISON s’est
toujours considéré avant tout comme un poète : « Écrire des poèmes c’est comme extraire le sang des pierres ». Il
revient sur sa propre œuvre, déclinant certains de ses romans, certaines de ses
novellas. Il paraît avoir vécu mille vies, a même participé à un groupe de rock
dans sa jeunesse, du doux nom de VINCE VAN NO GOD AND HIS POOR BUT PROUD CROWD,
un nom qui sonne bizarrement aux oreilles d’un croyant comme Jim.
Comment son corps a pu encaisser de telles
attaques quotidiennes de surdoses de bouffe, d’alcool et bien sûr de
cigarettes ? Par la marche explique l’auteur, intensive, tous les matins,
avec son chien, dans les bois, les forêts, les bords des rivières, un pied
devant l’autre, répété des millions de fois. Malgré tout ce qu’il a fait
endurer à sa carcasse, l’homme est parvenu jusqu’à 79 ans. Celui qui a déclaré
le kafkaïen « Je n’ai jamais été
l’homme que j’étais autrefois » a croqué la vie à pleines dents. Il
vous faudra un estomac particulièrement solide et rembourré pour lire ce
jubilatoire recueil sorti fin 2018, vos zygomatiques vous en remercieront,
votre panse et votre foie sans doute moins.
(Warren
Bismuth)
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