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mardi 29 septembre 2020

Bachir HADJ ALI « L’arbitraire »

 


Livre aussi court que percutant. 1965, la guerre de Libération est gagnée pour les algériens depuis trois ans. Mais la mise en place du nouveau pays indépendant est laborieuse. Le F.L.N. ne parvient pas à concrétiser les promesses faites sous la colonisation française, le coup d’État du colonel Houari BOUMEDIENE du 19 juin 1965 venant rebattre les cartes. Le 21 septembre 1965, Bachir HADJ ALI est arrêté pour son attachement communiste et son possible appui à des militants rebelles au pouvoir en place.

Première surprise : les salles de tortures dressées durant la colonisation pour faire parler les dissidents sont toujours non seulement présentes mais fonctionnelles, et ont même été modernisées. HADJ ALI est un militant de vieille date, il a par exemple combattu sept ans et demi dans la clandestinité pour l’indépendance algérienne. Enfermé, il prend des notes, il écrit dans son cachot, un peu au hasard, dans le noir le plus opaque. Il va être passé à tabac, torturé, mais ne parlera pas. Que pourrait-il dire d’ailleurs ? Il écrit ces lignes à l’aveuglette avant son transfert de la prison Poirson à Alger à la centrale de Lambèse, qui interviendra le 20 novembre 1965.

Étonnant de la part de ce gouvernement F.L.N. d’utiliser les mêmes moyens que pratiquait naguère l’État français sur le sol algérien, pour soumettre les prisonniers à « La question » ? HADJ ALI va être torturé onze fois, c’est après la dixième qu’il écrit ce portrait de prisonniers algériens en Algérie face à un gouvernement algérien.

« Que la vague coloniale, après ses flux et reflux dévastateurs et son retrait final désordonné, ait laissé dans notre inconscient collectif un goût amer de violence et déposé sur notre sable un amas d’habitudes condamnables, rien n’est moins douteux. Mais, pas plus que la torture ne fut introduite dans le corps expéditionnaire par les légionnaires allemands, elle n’est le simple prolongement du cataclysme qui s’est abattu sur l’Algérie pendant cent trente-deux ans et, singulièrement, pendant la guerre de libération. Fruits pourris de l’arbitraire, telle est la torture, tels sont les tortionnaires. Fruits pourris des sociétés divisées en classes, manifestation suprême du terrorisme, exercé par l’appareil répressif des classes exploiteuses au pouvoir contre les forces montantes, la torture fut codifiée dans les siècles de l’Inquisition. Les châtiments horribles que les religions promettent au pécheur le jour du Jugement dernier reflètent le raffinement féodal du supplice ».

Dans ce récit sont dressés des portraits sans concession des tortionnaires, mais aussi des suppliciés. Les préfaces sont signées Hocine ZAHOUANE et Mohamed HARBI, elles préviennent de la suite de la lecture. Le texte ici imprimé fut recopié sur du papier toilette, puis planqué dans des cigarettes vidées de leur tabac afin d’être dévoilé clandestinement, distribué, et faire éclater la vérité. Ces quelques dizaines de pages seront publiées en mai 1966 par les éditions de Minuit, s’ensuivra une interdiction pour HADJ ALI de recevoir des visiteurs, y compris sa famille jusqu’en mai 1967. « L’enfer est allumé » écrit-il dans le noir.

En complément de ce texte sont insérés une lettre du prisonnier au ministre de la défense nationale ainsi que 14 poèmes (certains épiques) du même détenu.

Témoignage exceptionnel d’une victime de la violence gouvernementale seulement une poignée d’années après la même violence exercée par le colonisateur, dans les mêmes locaux et avec les mêmes moyens. Ce qui fait la force de ce récit, c’est que, nous métropolitains, n’avions alors eu vent que d’une infime partie des atrocités commises après les accords d’Evian sur le sol algérien par son propre gouvernement, c’est ce qui en fait un document essentiel. Il a été réédité, en Algérie en tout cas. En France il le fut en version numérique pour un petit prix par les éditions FeniXX. Il n’est pas listé au sens propre comme un document appartenant à la catégorie « guerre d’Algérie » chez Minuit (puisque écrit après), mais il en est une suite, une répercussion, l’infernale continuité.

http://www.leseditionsdeminuit.fr/

(Warren Bismuth)

mardi 22 septembre 2020

Laurent MAUVIGNIER « Histoires de la nuit »

 


Un nouveau roman de Laurent MAUVIGNIER est toujours un événement sur la planète littéraire, d’autant que cette fois-ci il aura fallu patienter quatre ans. « Histoires de la nuit » est imposant par son volume (635 pages), mais aussi par son contenu.

Un hameau du centre de la France, celui des Trois Filles Perdues, commune de La Bassée (rien à voir avec celle du nord). Trois fermes. L’une est habitée par la famille Bergogne : Patrice, 47 ans, sa femme Marion qui va fêter ses 40 ans et leur jeune fille Ida. Une autre ferme est occupée par Christine, artiste peintre, enracinée ici depuis des décennies, depuis qu’elle avait sympathisé jadis avec le père Bergogne et qu’elle avait fini par acheter ici cette habitation, quittant définitivement Paris. La troisième ferme est à vendre.

La famille Bergogne fut longtemps la propriétaire de ce hameau, famille paysanne, rude à la tâche. Les deux frères de Patrice ont quitté les lieux au fil du temps, partis chercher un avenir meilleur, ailleurs, loin de la gadoue et des champs de céréales à perte de vue de cette région désertée. Patrice est le seul qui soit resté. Puis vient le temps des décès, la mère d’un cancer, suivie du père.

Christine reçoit des lettres anonymes de menace auxquelles elle ne comprend rien. C’est alors qu’un inconnu se rend au hameau, disant vouloir acheter la ferme à vendre, sans avoir pris rendez-vous. C’est le début d’une descente aux enfers.

Roman long et oppressant, il n’est pourtant jamais ennuyeux, les phrases de MAUVIGNIER s’étalent parfois sur des pages et appuient un peu plus sur la tête du lectorat alors que le corps se noie déjà. Ambiance tendue, poisseuse, nauséeuse, extrêmement dérangeante. Entre Patrice et ses rencontres-fantasmes, Marion et son passé trouble et lourd, l’acheteur inconnu qui va ramener ses frères, la fille Ida entourée d’un mystère, Christine femme affirmée et libre qui va faire prendre une tournure inattendue à l’histoire après que son chien soit empoisonné, tout dans ces pages sent le soufre, le sang, le pourri et le malsain.

MAUVIGNIER réussit un somptueux tour de force : prenant comme espace la ruralité dans toute sa grandeur, comme espace potentiel pour respirer un peu, il prend tout son monde à contre-pied et impose un scénario, par ailleurs assez minimaliste, en quasi huis clos, nous empêchant même de nous pencher à la fenêtre pour inhaler à la dérobée une bouffée d’oxygène.

635 pages en apnée, éblouissantes, inconfortables et grandioses, c’est un nouveau coup de massue de la part d’un auteur qui n’en est plus à son coup d’essai. Thriller psychologique haletant, il est aussi roman littéraire et exercice de style très poussé, exercice d’équilibriste dans lequel, comme toujours, MAUVIGNIER ressort sans une égratignure, contrairement à son lectorat, secoué et perturbé. Ce roman mémorable vient de sortir chez Minuit.

« Bientôt, il y aura la mort qui s’invitera dans le hameau comme elle s’invite partout, car elle est partout chez elle, chez elle quand elle veut, prenant ses aises dans des appartements où elle n’avait jamais posé les pieds ni daigné lancer un coup d’œil ; soudain chez elle, comme une reine sans pudeur et sans gêne, vaguement obscène, laissant hagards et démunis tous ceux qui avaient cru un instant qu’elle les avait oubliés ».

http://www.leseditionsdeminuit.fr/

(Warren Bismuth)

samedi 19 septembre 2020

Raymond PENBLANC « Lettre ouverte à celle qui viendra à son heure sans qu’il soit besoin de la sonner »

 


J’avais repéré le nom de Raymond PENBLANC sur le catalogue du Réalgar. Forcément, ceci ne pouvait qu’attiser ma curiosité. Mais c’est à la lecture de son tonitruant poème "L'excuse" publié durant le confinement que j’ai fait connaissance avec son travail d’écriture. Il me fallait dès lors en savoir plus sur ce bonhomme capable de me captiver à ce point après seulement quelques dizaines de lignes grinçantes et enragées jetées sur la Toile. Aussi, décidai-je de me procurer ses trois premiers romans (en version numérique, les formats papiers étant épuisés) sortis aux tout débuts des années 1990, romans lus quasiment à la suite (et même relus), j’y reviendrai dans ce cycle que je consacre à l’auteur, ce sont eux qui m’ont ouvert la voie vers l’univers de Raymond PENBLANC. Mais pour l’heure place à cette « Lettre ouverte à celle qui viendra à son heure sans qu’il soit besoin de la sonner ». La présente chronique a été augmentée par l’auteur de la nouvelle.

 

Papillon aux ailes de soie, chat crevé au ventre bourré d’asticots, couleuvre écrasée, garçon tombé de vélo, vieillard au crâne lisse et blanc, quelle que soit la cible, elle frappe. Elle, c’est la Mort bien sûr, femme fatale ou mégère grimaçante, jeune beauté à la chevelure parfumée, elle peut prendre tous les visages, user de toutes les ruses, de toutes les séductions.

 

« En attendant, je te pardonne ta morgue, ta froideur, tes distances parfois – tu sais te montrer si proche. C’est simple, je choisis de faire de toi ma confidente, je suis sensible à ta parole, je l’écoute avec toute l’attention qu’elle mérite, je me laisse prendre aux séductions de tes miroirs consolateurs ».

 

Du souvenir d’un oncle récemment décédé à un cadavre d’enfant accidenté en passant par la Femme choyée mais tombée malade puis trépassée, la mort semble s’être invitée à la table du narrateur. Fantôme à la faux très aiguisée, représenté en partie par l’ancienne fiancée, épieuse et morbide, manipulatrice et perverse, par le frère vindicatif de la Vénérée disparue, frère dévasté mais accusateur, qui devra bien un jour rejoindre le trou qui l’attend.

 

La vie se retire du récit par étape, palier par palier, se déshabille, comme pour laisser place au néant, ce fantôme qui hante l’auteur, toujours plus intimement, dans sa chair et son cœur, dans son âme et sa foi.

Une trame sombre pour une nouvelle brève et violente. Une histoire qui va forcément très mal se terminer, portée par une ambiance délétère, mais non dénuée d’une poésie tragique, ainsi que d’un humour grinçant (déjà présent dans le titre). « Si j’ai passé l’âge (ingrat) du foulard, j’aborde avec la fausse nonchalance qui sied à la seconde adolescence celui des pratiques sexuelles à risques, celui des grosses cylindrées et des voitures de course, celui des duels aux magnums de champagne mal sabrés, celui de la traversée des Chutes du Niagara sur une corde à linge – lequel précède de quelques années seulement celui des armes à feu et des cocktails de barbituriques, du vitriol dans le whisky, des submersions dans les mares de vodka, des mouvements pendulaires au bout d’une cravate de chanvre dans de vieilles chambres mansardées ».

Cette « Lettre ouverte à celle qui viendra à son heure sans qu’il soit besoin de la sonner » est sortie en 2019 dans la très jolie collection Lettres Ouvertes du Réalgar, collection faisant paraître des textes d’inspiration libre d’une vingtaine de pages, chacune écrite par un auteur différent, dont la plupart ont déjà publié au Réalgar. Des récits personnels, poétiques, brefs, tout en souplesse. Certains auteurs vous ont d’ailleurs déjà été présentés sur ce blog pour d’autres ouvrages : outre Raymond PENBLANC, citons Isabelle FLATEN, Jacques JOSSE, Christian CHAVASSIEUX, Eric PESSAN ou encore Laurent CACHARD. 26 titres ont à ce jour été édités et ce serait fort dommage de ne pas aller fouiner dans le catalogue. Ces lettres sont disponibles chacune pour seulement 4.50 euros, et la présentation en est soignée et aérée.

https://lerealgar-editions.fr/

(Warren Bismuth)

mardi 15 septembre 2020

Robert DAVEZIES « Le front »

 


En 1959, Robert DAVEZIES, prêtre ouvrier proche des milieux d’extrême gauche, membre du Réseau Jeanson, donne la parle aux combattants pour l’indépendance de l’Algérie dans le conflit l’opposant au colonisateur français.

Plusieurs originalités dans cet ouvrage : si les témoins interviewés ont bien lutté, aux côtés de l’Armée de Libération Nationale (A.L.N.) notamment, ils sont exilés au Maroc ou en Tunisie lorsqu’ils se prêtent au jeu du questions/réponses de DAVEZIES. Chacun va exposer ses souvenirs, sa version des faits, mais tous vont faire part de leur appartenance à la Révolution algérienne. L’auteur : « Je me porte garant de l’authenticité de tout ce que le lecteur va trouver dans ce livre. Mes interlocuteurs me sont apparus dignes de foi. Le lecteur pourra juger de leur qualité à partir de leurs témoignages. Qu’ils n’aient pas tout dit, qu’ils se trompent quelquefois, je suis le premier à en convenir. Ils disent les choses telles qu’ils les voient, telles qu’ils les ont vues, ils racontent les événements à leur manière ».

Plusieurs situations et ressentis reviennent au cours des témoignages : misère, esclavagisme, inégalité, racisme des blancs (français), violence. L’école n’est pas toujours autorisée aux jeunes algériens, pourtant sur leurs terres, terres volées par « l’occupant », c’est en partie ce qui déclenchera la révolution du 1er novembre 1954 pour l’indépendance de l’Algérie. « Le peuple est attaché à la terre, le peuple connaît la valeur de la terre. Il n’y a pas d’idée de revanche dans le peuple, mais simplement un souci de justice : sa terre, on la lui a volée, il la reprend par les armes ».Certains témoins avancent cependant la date du massacre de Sétif dès le 8 mais 1945 comme véritable point de rupture et de départ de cette guerre, d’autres encore en voient même des prémices dès le début de la seconde guerre mondiale.

Les interviewés s’accordent à évoquer la torture, très présente, moyen d’intimidation, façon de délier les langues, de mettre les fichiers à jour.

Les combattants s’engagent très jeunes dans les rangs de l’armée algérienne, les femmes sont présentes en nombre, elles seront aussi parfois assassinées, avec un enfant dans les bras, voire dans le ventre. Les témoins ont fui, les raisons sont diverses, mais ils sont là, entre Maroc et Tunisie, pays qu’ils souhaitent alliés de manière active, avec leurs souvenirs, leurs images et leur envie de parler, de dialoguer, d’échanger. L’étonnant est peut-être cette sorte d’admiration que le peuple algérien semble alors faire preuve pour la politique de l’U.R.S.S., y compris au sein du F.L.N.

La dernière intervention est celle d’un homme envisageant l’avenir de l’Algérie une fois l’indépendance acquise (elle aura lieu trois ans plus tard), le futur sur les plans économiques comme humains. Le moins que l’on puisse dire, c’est que tout ne s’est pas déroulé comme prévu…

Documentaire pouvant aisément être rangé aux côtés des travaux – pour d’autres sujets politico-historiques – de Charlotte DELBO ou, plus près de nous, de Svetlana ALEXIEVITCH, toutes deux déjà présentées à plusieurs reprises sur le blog. En effet, DAVEZIES laisse la parole aux témoins directs, aux sans grades, aux inconnus, ceux qui ont pourtant été aux tout premiers rangs. Il intervient peu, laisse la pelote se dérouler naturellement. « Le front » a été publié en 1959 aux éditions de Minuit, il fut l’un des ouvrages majeurs de l’éditeur publiés durant la guerre d’Algérie. Il a été republié sous format numérique par les éditions FeniXX.

http://www.leseditionsdeminuit.fr/

(Warren Bismuth)

samedi 12 septembre 2020

Raymond PENBLANC : quatre nouvelles courtes

 


Focus sur un auteur et la collection d’une éditrice. Raymond PENBLANC vous a déjà été présenté en ces pages, tout comme les éditions Lunatique où sont publiés ces quatre textes. En revanche je n’avais pas encore eu l’occasion d’introduire la splendide collection 36e Deux Sous de ces mêmes éditions. Cette collection se distingue par plusieurs aspects : des textes brefs, de courtes tranches de vie avec une attention toute particulière à la qualité littéraire. Depuis 2011, elle propose des textes d’une vingtaine de pages, d’horizons divers, je devrais d’ailleurs y revenir. Distinction aussi pour le prix : en moyenne 3 à 4 euros pour la version papier et… 1 euro (oui, un !) pour la version numérique. À ce jour, Raymond PENBLANC, également auteur chez Lunatique de trois romans et d'un livre jeunesse, a publié quatre récits dans cette collection.





« Bref séjour chez les morts »

 

… Ou la descente aux enfers d’un homme qui tout d’abord tombe, s’échoue, et finit aux urgences, frappé d’un début de paralysie, puis d'une paralysie totale. Il coupe  toute communication, avec les internes, les infirmières, avec tous ceux  qui prennent soin de lui. Il en devient  incontinent, chie au lit, sa tension monte à 22 dans une chambre à la lumière aveuglante. Le malade se sent sale, partout. Heureusement la maladie finit par céder, et l’espoir revient. Avant la  renaissance.

 

Ce magnifique texte n’est bien sûr pas anodin, il est le récit autobiographique d’un syndrome de Guillain-Barré, l’expérience d'une mort imminente.  Texte âpre, hommage au personnel soignant en même temps que témoignage poétique et tendu de flirt avec la mort, il est puissant et ces images restent gravées dans la mémoire.





« Œil-de-lynx »

 

Publié là aussi en 2014. Une sotte histoire qui tourne au drame : deux enfants de 5 ans, Franck éborgne Pascal en classe, avec un stylo bille. Nous retrouvons la victime 10 ans plus tard, en famille, il vient de lui être offert une lunette astronomique pour son œil survivant et unique, de quoi redécouvrir le monde, le voir sous un nouvel angle, un nouveau prisme. Ce même Pascal va tomber ses lunettes et amoureux (vive le zeugma !) de Sarah. Une fête foraine, une idylle, un nouveau fait divers qui une fois encore tourne mal...

 

Très beau texte sur un drame de jeunesse. Il fait immanquablement penser à Jim HARRISON et à ses nombreux écrits sur son œil perdu à l’âge de 7 ans et les difficultés à vivre plus ou moins normalement. Il est à la fois sombre et empli d’espoir, celui de pouvoir vivre pleinement sa différence, son handicap. Comme le précédent, il est en partie autobiographique.  Il a reçu le prix « Heureux et Lus » 2019 décerné par des élèves du lycée Blaise Pascal de Longuenesse :

https://padlet.com/prix2019/exyffssp7rl0





« Les noces d’or »

 

Publié en 2016, ce texte est en tous points olfactif : fleurs, parfums, envoûtement de l’odorat et de son apport pour attiser les souvenirs, floraisons ininterrompues, couleurs se mêlant au paysage. Le sens gustatif, la légèreté et la grâce sont également de la partie.

 

Une femme et un homme relativement âgés partent pour ce qui se révélera être un ultime voyage. Chemin faisant ils égrènent leurs souvenirs, prennent ensemble un dernier repas, passent ensemble une dernière nuit  avant de rejoindre le lendemain une maison blanche dont la chambre ressemble à s’y tromper à une chambre d’enfant...

 

Raymond PENBLANC sait se faire sentimental, délicat et émouvant, tout en sensations, les sens en éveil, composant une atmosphère feutrée et sensuelle.





« L’Egyptienne »

 

Sorti en 2016, « L’Egyptienne » est un hommage  à Arthur RIMBAUD après une première phrase toute balzacienne où le narrateur semble endosser les vêtements de Rastignac. Ce texte est une flânerie dans les rues de Marseille, sur les pas de  l'homme-aux-semelles-de-vent. Suivons le guide, tout comme ce jeune homme se met à suivre la jeune Lila, dans une découverte très évocatrice des alentours du Vieux Port et des calanques. Baignade puis relation intime. C’est après que le jeune homme s’enfuit. Il se met en quête de l’hôpital dans lequel a jadis souffert RIMBAUD. Sur son chemin il rencontre un adolescent  à la jambe plâtrée… Puis une jeune fille très belle qui lutte contre la mort  à l'intérieur de sa chambre de verre…

 

Paysages sublimés, balade rimbaldienne, rencontre furtive, un petit texte  dense, riche  en émotions et joliesses. Le talent, ça ne s’invente pas.

 

***

 

Ces textes sont également disponibles sur la toile, sur des sites où sont hébergés d’autres récits tout aussi beaux de Raymond PENBLANC :

 

Le Tiers Livre, revue de François BON :

http://www.tierslivre.net/revue/spip.php?mot158

 

La revue des ressources :

https://www.larevuedesressources.org/_raymond-penblanc,2602_.html

 

Les éditions de l’abat-jour :

http://www.editionsdelabatjour.com/article-raymond-penblanc-112461014.html

 

Le site Remue.net

 

https://remue.net/raymond-penblanc

 

Des textes orphelins jalonnent aussi les pages de sites comme la Revue Secousse, Levure Littéraire, Hors-Sol ou Le Capital des Mots. Allez y faire un tour, des perles littéraires vous y attendent. Pour découvrir la collection 36e Deux Sous des éditions Lunatique, c’est ici que ça se passe : 

https://www.editions-lunatique.com/36e-deux-sous

Vous ne devriez pas le regretter.

(Warren Bismuth)

mercredi 9 septembre 2020

Jacques CHARBY « L’Algérie en prison »

 


Suite du cycle sur les Éditions de Minuit et la guerre d’Algérie, entamé sur le blog en 2019 avec six présentations de livres, tous saisis durant la guerre. « L’Algérie en prison » est un témoignage sur les geôles métropolitaines réservées à ceux considérés comme des ennemis d’État durant la guerre de Libération.

Après une préface offensive d’André MADOUZE, place aux souvenirs du comédien Jacques CHARBY. Arrêté le 20 février 1960 par la D.S.T. dans les Pyrénées françaises, il est amené par train dans les sinistres locaux de la rue des Saussaies à Paris. Là il va être interrogé un poil virilement. Disons tout net qu’il est passé à tabac pour le simple soupçon d’avoir eu des contacts avec des algériens possiblement militants du F.L.N.

Dans la rue des Saussaies, les traditions ont la peau dure. Les tortures effectuées jadis en ces lieux se tiennent toujours à la même adresse et à peu près dans les mêmes conditions, l’occasion pour l’auteur de se souvenir qu’en 1941 il avait 11 ans, qu’il était juif, et qu’il avait vu disparaître une partie de sa famille dans des trains bondés.

Rue des Saussaies donc. On y trie les prisonniers par race (les blancs et les autres), interdiction de partager la nourriture. Quant à CHARBY, après des interrogatoires musclés destinés à lui faire cracher le morceau et ses dents concernant des noms d’activistes algériens, il est déshabillé, mis à nu, deux femmes sont invitées à prendre part au spectacle gratuit, tandis que suavement, l’un des tortionnaires s’écrie « Regardez-le, ce fumier qui se fait empapaouter par les bicots ».

CHARBY est entre autre détenu avec des signataires du livre « La gangrène », saisi deux ans plus tôt. Il se passe d’ailleurs des événements positifs derrière ces barreaux : par exemple la caisse de secours est alimentée par les prisonniers eux-mêmes. CHARBY est un détenu actif : il donne des cours à des élèves de CM1 puis de 5ème. Politisation des prisonniers, grèves de la faim ? Réponse immédiate par la violence de la part des geôliers.

Au beau milieu du livre, ce témoignage se transforme tout à coup en journal de bord des six premiers mois de l’année 1960 vus et ressentis par l’auteur. C’est en effet le 30 juin 1960, après avoir été malade plusieurs semaines, que Jacques CHARBY est libéré et clôt l’écriture de son bouquin qui sera saisi par les autorités françaises pour diffamation de la police en 1961. Un témoignage important du passage à tabac, du lynchage, y compris pour les « éléments blancs » soupçonnés de fricoter avec l’ennemi basané. Période essentielle sur la censure de l’édition, l’intimidation et l’acharnement étatiques, notamment sur les éditions de Minuit (saisies 10 fois entre 1958 et 1962). Quelques dizaines de pages pudiques mais fermes sur un quotidien enduré tant bien que mal par un prisonnier décidé à se taire sur les soupçons à son encontre.

Et puis dans ce journal de bord apparaissent les souvenirs, ceux évoqués par des camarades, ceux d’une autre guerre, pas si lointaine, contre le nazisme : « Un militant me raconte qu’il avait passé cinq jours au Vel’d’Hiv’ au moment des grandes rafles. On y avait parqué par milliers hommes, femmes et enfants algériens. Il m’affirme que plusieurs sont morts étouffés ».

Livre devenu rare mais toutefois réédité en Algérie, il l’est aussi numériquement ici par les éditions FeniXX qui se chargent de dématérialiser des livres introuvables, notamment certains des éditions de Minuit, une aubaine car de véritables trésors se cachent dans ce catalogue, des redécouvertes exceptionnelles qui permettent notamment de relire la guerre d’Algérie au cœur de l’action.

http://www.leseditionsdeminuit.fr/

(Warren Bismuth)

samedi 5 septembre 2020

Jeton NEZIRAJ « Peer Gynt du Kosovo + L’effondrement de la tour Eiffel »

 


Deux pièces en albanais du même auteur kosovar mais écrites à quelques années d’intervalle. « Peer Gynt du Kosovo » fut écrite entre 2013 et 2018. N’ayant pas lu l’œuvre poétique puis théâtrale « Peer Gynt » de Henrik IBSEN, je ne pourrai comparer avec la présente pièce qui en est présentée comme une revisite. Ici, Peer Gynt jeune homme quitte un Kosovo en guerre pour rejoindre la Suède de bien meilleure réputation. Mais il se heurte aux demandes d’asile, aux papiers demandés et à la mauvaise foi des autorités. Il va tenter plusieurs pays vus comme des eldorados, mais toujours ces demandes rejetées, par ailleurs de manière plus ou moins légales, plus ou moins convaincantes, toujours assez arbitrairement.

Peer Gynt va essayer de pénétrer dans une partie des pays d’Europe, y compris estampillés Schengen. Chaque fois le refus s’abat comme un couperet. Un parcours en forme de tragédie et en dents de scie. Oui mais Jeton NEZIRAJ (déjà présenté sur le blog ici) dégaine son humour, corrosif, provocateur, caustique, absurde. Il démine la situation, la rendant grotesque. Il nous fait suivre la vie de Peer Gynt par scènes elliptiques, indépendantes les unes des autres. On le retrouve tout à tour voleur et escroc, proche d’un ami avec lequel il partage la coke, puis entiché de Bella, enceinte, mais qui va le quitter. On le croise en taule ou errant, dans son pays ou tentant le grand voyage vers des frontières infranchissables.

En prison il lui arrive de s’évader, puis retour à la case départ dans un Kosovo encore et toujours en guerre. Puis le père va mourir. « Voilà, en le regardant mort, c’est le souvenir que tu emporteras de ton père pour toutes les fois où tu penseras à lui. Je n’ai pas eu cette chance moi, voilà mon père mort, mais j’étais au chevet de ma mère quand elle a rendu l’âme. Et désormais, chaque fois que je pense à elle, c’est son visage sans vie que je vois. Sa bouche ouverte, des yeux comme des orbites, sa peau diaphane ».

Etrange pièce structurée en partie comme un roman, avec un court prologue, parfois de longs monologues, des titres de scènes en forme de titres de chapitres, et une fin en épilogue qui sème un peu plus le trouble.

« L’effondrement de la tour Eiffel » a été écrite en 2011. Le ton, même si différent de la pièce précédente, est toujours très caustique. Structure plus complexe, sujet plus épineux puisqu’il s’agit ici des actions terroristes ou violentes de l’Islam radical. Plusieurs histoires se croisent : des Balkans de jadis au Paris d’aujourd’hui, des expériences de vie, des personnages personnifiant une doctrine, une conviction. José le chrétien accusé de terrorisme, Aïcha/Marie la femme qui finira voilée, l’actrice amoureuse d’un terroriste, Habib et Ghalib étant le moteur de cette pièce et représentent la vengeance. Il y a aussi Osman le jeune, un fanatisé qui va douter, ou bien encore un peintre qui portraitise une femme comme il la ressent, sans regard, sans yeux car entièrement voilée.

Cette pièce, tout en étant drôle, mène à des réflexions sociétales majeures, entre autres la liberté de croire, de penser, d’agir, la mixité religieuse, la tolérance, la difficulté entre deux cultures de s’entendre. Très belle pièce, violente mais sans excès, car l’humour fait tout passer, elle est un peu la plaquette de beurre pour ne pas que le fond colle au cul. Car ce fond est dur : « Dix-huit agressions sur des femmes musulmanes en trois mois. Des actes bien réfléchis, des actes fomentés dans vos laboratoires, pour salir la dignité de nos femmes. Vous avez touché le seul talon d’Achille que nous ayons, nous les musulmans ! Pas d’exécutions, pas d’expulsion, pas d’emprisonnement, pire, vous avez choisi de nous déshonorer ! Merveilleuse trouvaille ! C’est ce qu’ils t’ont dit de faire, hein ? Sors dans Paris et arrache les niqabs aux femmes. Les musulmans du monde entier comprendront alors qu’ils ne sont pas désirables en Europe, qu’ils ne sont que les brebis galeuses de l’Europe ».

Déchaînement, colère, mais humour et maniement de l’absurde, comme pour déjouer le mal. Deux excellentes pièces très bien réfléchies, de 80 pages chacune. La seconde est un peu moins proche d’une structure romanesque, mais encore une fois, certains éléments peuvent s’avérer troublants. Le livre vient juste de sortir aux éditions L’Espace d’un Instant, décidément les spécialistes de ce théâtre balkanique en Occident. Merci et respect éternel !

http://www.sildav.org/editions-lespace-dun-instant/presentation

(Warren Bismuth)