Le polar se fait rare dans les pages du
blog, alors autant bien le choisir avant de le présente. Premier volet d’une
série en cours (le deuxième est déjà sorti), « Meurtres sur la
Madison » est typique de ces ambiances naturalistes où la rivière joue
peut-être le rôle principal. Ici c’est donc celle de la Madison, dans l’État du
Montana. Un meurtre a été commis, un homme a été noyé. Mais il semblerait que
ce ne soit pas précisément les eaux de la Madison que ses poumons ont
ingurgitée, mais bien celle d’un étang, par ailleurs infesté par une maladie
dévastatrice de la truite : le tournis.
Ancien détective privé recyclé dans la
peinture d’art et au passé familial plutôt lourd, Sean Stranahan va être appelé
par la sœur du décédé, une certaine Velvet Lafayette (Vareda) chanteuse et
charmeuse. Pour l’aspect plus officiel de l’enquête, il y a Martha Ettinger,
une shérif grande gueule mais tendre au fond, qui ne mâche pas ses mots et fait
bouger le cul de ses subordonnés. Le mort a été découvert par un guide de pêche,
Sam, qui ne va pas tarder à sympathiser avec Sean, ils vont ensemble tenter de
délier certains nœuds ardents dans cette affaire s’annonçant complexe.
Sans le savoir, Sam joue sa vie en accompagnant
Sean, il va croiser une balle, pas franchement là pour lui faire un câlin de
bienvenue. L’atmosphère va se durcir, s’assombrir, mais tout en gardant un
humour espiègle. Au milieu de ce déferlement de cannes à pêches, de moulinets,
d’appâts et de truites arc-en-ciel, la peinture de Sean. Ses tableaux ont
retenu l’attention de Summersby qui veut lui passer commande, un tableau par
pièce (une douzaine) dans sa grande maison, chaque tableau représenterait une
tranche de nature.
Quant à Sean, il semble hanté par son
passé, la mort de ses parents, de sa sœur, son récent divorce avec Beth. Il
paraît fort, robuste, mais pourrait se fissurer, d’autant que « Pour quelqu’un de jeune, il avait vu son
comptant de morts – surtout la mort précoce de ses deux parents. Et il avait
découvert qu’il pouvait faire face alors que d’autres, comme sa sœur, ne le
pouvaient pas. On s’était toujours appuyé sur lui en cas de problème, ce qui,
plutôt que de l’attirer vers le genre humain, l’avait isolé et l’avait doté
d’une dose de courage qui ne semblait pas méritée. Etait-ce ce sentiment d’être
à part qui l’avait conduit à la fin de son mariage ? »
Derrière le masque du polar, c’est l’état
des rivières d’un coin des U.S.A. qui est ici ouvertement pointé. Si l’enquête
est fictionnelle, en postface l’auteur tient à préciser que ce que vous venez
de découvrir dans ce livre, soit (sans pour autant vous donner trop de pistes)
la pollution de rivières et l’extinction des truites par une maladie rapportée
volontairement par l’homme est en partie vrai : en d’autres temps, en
d’autres lieux, mais ce fait divers sinistre a bel et bien existé, à plusieurs
reprises même.
Les sentiments ont leur part belle. En
fait Sean, le héros de cette série, coince avec les femmes, et une évocation de
fin de volume semble résumer à elle seule son impossibilité à asseoir un
comportement rationnel dès qu’il aime d’amour : « La tension entre eux était plus manifeste
qu’auparavant. Ils tombaient l’un sur l’autre environ toutes les semaines et se
séparaient toujours à contrecoeur. Mais ils avaient pris l’habitude de s’en tirer
avec des plaisanteries taquines qui maintenaient entre eux une certaine
distance qu’aucun des deux ne voulait être le premier à briser ».
Attention, ce livre est aussi un guide de
pêcheurs très pointu et technique. Aussi, certains termes ne vous parleront
pas, vous pourrez même être gêné.e.s par les détails de cette passion un brin
sinistre à traquer un être vivant pour soit le tuer soit le remettre à l’eau
(après poinçonnage en règle de la bouche tout de même). Une fois cet inconfort
avalé (sans hameçon je précise), laissez-vous aller sur les flots de la
Madison, ce polar est remarquable. L’auteur est très talentueux lorsqu’il
s’agit de décrire les paysages somptueux du Montana, il construit aussi des
personnages crédibles, sensibles, contrastés, forts. Les dialogues sont
savoureux et l’enquête très bien ficelée. Il est très difficile de ne pas
penser à la trilogie « Stoney Calhoun » de William TAPPLY ou à la
série Walt Longmire de Craig JOHNSON.
Ce premier volume de Keith McCAFFERTY est
un petit bijou du « Nature writing », il en possède tous les éléments
essentiels : nature, rivières, poissons, arbres, lieux escarpés, oiseaux
(peu), vieilles baraques de bois, protagonistes bourrus qui ont toujours vécu
au contact de la nature et qui de fait vous en apprendront de bien belles. Car
on en apprend beaucoup dans ce livre qui ne se focalise pas sur l’enquête, qui
sait intelligemment déborder, notamment sur les problèmes de sauvegarde de
rivières, car en plus c’est un bouquin militant (la postface le montre
parfaitement). L’écriture est alerte et le tout parfaitement orchestré et
délicieux. Sorti bien sûr chez Gallmeister. En 2018 pour la première version
traduite, et réédition récente dans leur collection de poche Totem, une mine
pour ce genre de lecture et de climat.
https://www.gallmeister.fr/
(Warren Bismuth)