Voilà un outil indispensable pour mieux connaître les racines, les
valeurs notamment écologiques et le mode de vie du mouvement anarcho-punk
mondial. Tout d’abord il est agréable de constater que les auteurs connaissent
bien leur sujet puisqu’ils font référence à des groupes et organisations restés
parfois très en marge au sein même d’un milieu pourtant – volontairement – très
peu médiatisé. Tout est ici scruté : la naissance de cette mouvance dès
1977 en parallèle au déferlement punk-rock, les influences allant chercher clairement
du côté du mouvement hippie des fin 60’s/début 70’s, mais aussi chez des
écologistes qui a priori n’ont rien à
voir avec les punks : Murray BOOKCHIN, Jacques ELLUL, Ivan ILLICH, Peter
SINGER, Léon TOLSTOI, et surtout ce diable d’Edward ABBEY, écrivain eco-warrior
États-Unien totalement époustouflant (que je vous conseille de lire de toute
urgence ! Six de ces livres traduits sont disponibles chez les excellentes
Éditions GALLMEISTER), et bien sûr chez les théoriciens d’un anarchisme
pleinement revendiqué et concrétisé quotidiennement. Résumer ce documentaire
n’est pas une mince affaire pour moi, immergé dans ce mouvement politique,
social et musical depuis maintenant plus de 30 ans, donc avec sans doute ce
manque de recul pourtant nécessaire pour analyser objectivement la situation.
L’histoire de l’anarcho-punk, si elle est passée au crible sur ses sources, est
développée concernant l’écologie, incluant des thèmes aussi variés que la lutte
anti-nucléaire, l’anti-bagnole, la promotion du vélo comme moyen de transport
(les fameux bikepunx), la défense animale (contre la vivisection, la torture
animale, pour le végétarisme (dès la fin des 70’s) puis le véganisme (dans les
80’s et surtout 90’s), contre le cuir, pour la libération des animaux de
laboratoires notamment par le biais de structures telles l’A.L.F. ou l’E.L.F., pour
l’antispécisme malgré ses limites évidentes, les auteurs posant des questions
très pertinentes sur le sujet), contre l’aliénation technologique née du
progrès à tout prix, pour le développement de communautés le plus souvent
squattées (en héritage des hippies) où le but est le maximum d’autosuffisance
et d’autonomie, pour la floraison de squats urbains actifs de contestation et
de recherches de solutions, mais aussi parallèlement pour la permaculture et la
ruralité (détaillées en fin de volume), et en général contre l’ogre
capitaliste, le travail salarié aliénant et pour le Do it yourself (D.I.Y.,
« fais-le toi-même ») au quotidien. La toile de fond de cette
réflexion ; CRASS, communauté hautement influente et groupe musical
inventeur de l’anarcho-punk (le groupe en tant qu’entité musicale n’existera
que de 1977 à 1984, mais le collectif est toujours actif). C’est par le prisme
de ce groupe majeur que les auteurs vont présenter et développer la pensée
anarcho-punk pour laquelle CRASS est la véritable figure de proue dissidente et
libre dès 1977, CRASS dont le batteur Penny RIMBAUD est déjà un
« vétéran » lors de l’explosion du punk et a acquis de l’expérience
en matière d’autonomie et d’autogestion communautaire. C’est avec Gee VAUCHER
(la responsable des visuels de CRASS) qu’ils ont fondé DIAL HOUSE, une
communauté rurale anarcho-punk dans les 70’s, ils ont littéralement
débroussaillé pour ce qui deviendra une vague immense. Les textes et actions du
mouvement sont expliqués grâce à de nombreux documents (interviews, écrits dans
des fanzines, paroles de groupes, sabotages, manifestations, tracts, etc.) et
d’innombrables liens à donner le tournis à chaque page. Le mouvement écopunk
part d’Angleterre avec CRASS bien sûr, rapidement suivi par des groupes comme
POISON GIRLS, FLUX OF PINK INDIANS, CONFLICT, CHUMBAWAMBA, ou encore OI POLLOI
en Écosse. Lorsque je parlais d’auteurs qui connaissent leur sujet, c’est aussi
parce qu’ils s’attardent sur un groupe absolument méconnu, SAW THROAT (les
musiciens du groupe bruyant SORE THROAT), qui n’a sorti qu’un album (absolument
magistral par ailleurs) en 1989, dans une indifférence assez totale pour un
discours écologiste assez poussé, appuyé par un poster inséré dans le disque. Un
focus est également présenté par le biais du groupe folk-punk BLACKBIRD RAUM. Les
revendications de CRASS vont passer l’Atlantique pour devenir une arme assez redoutable
aux Etats-Unis et Canada dès la fin des 70’s et le début des 80’s, avec des
groupes comme D.O.A., DEAD KENNEDYS et leur chanteur charismatique Jello BIAFRA,
M.D.C., et plus près de nous avec entre autres PROPAGANDHI (très présents dans
l’ouvrage), AUS-ROTTEN ou encore APPALACHIAN TERROR UNIT, sans oublier le
fanzine et label PROFANE EXISTENCE, sorte de détonateur du véritable mouvement anarcho-punk
États-Unien. Tout n’est pourtant pas idyllique dans cette lutte quotidienne
pour une survie moins polluante et plus responsable, puisqu’il y a les groupes
plus « hardlines » qui insultent, condamnent de manière véhémente et
prennent à partie les gens qui ne pensent pas comme eux (la plupart de ces
groupes ne feront pas une longue carrière, détestés au sein même de
l’anarcho-punk, mais leur influence première en matière de véganisme notamment
n’est pas à sous-estimer). Une chronique trop pointue de ce sommaire vertigineux
serait sans nul doute contre-productive, aussi je vous conseille de directement
commander et vous plonger dans ce guide de l’Histoire de l’anarcho-punk et écopunk.
Nous pourrons regretter toutefois les références presque monopolistiques pour
les mouvances anglaise et États-Unienne, omettant presque systématiquement les
luttes pourtant bien réelles dans d’autres pays, sur d’autres continents, même
si ces luttes furent évidemment très influencées par cette étincelle que fut
CRASS. Ne pas oublier qu’en France (l’un des auteurs est français, d’où ma remarque),
la question de la défense animale est présente chez les groupes punks dès le milieu
des 80’s, se développant durant la décennie estampillée 90, il en est de même
pour les collectifs de squats et de structures autogérées. Le mot
« radical » dans le titre peut aussi questionner, car aujourd’hui je
reste personnellement persuadé que c’est bel et bien le capitalisme qui est
radical, non pas les moyens utilisés pour le combattre. Ce bouquin rend hommage
à tou.te.s ces punks politisé.e.s d’une manière tout à fait respectable voire
perspicace, comme il rend hommage à un mouvement entier resté volontairement dans
l’ombre, comme une revendication anonyme sans meneurs (l’anonymat y est
absolument crucial), sans tête pensante, sans hiérarchie, sans chefs, sans
réelle organisation, une immense structure déstructurée en somme. À une période
où l’on semble rechercher des leaders pour relayer une juste cause, il est
nécessaire de se souvenir que les anarcho-punks n’ont jamais accepté aucun
leader, pourtant le mouvement perdure et reste fort et dérangeant, comme il l’a
toujours été. Comme quoi une figure unique ne paraît pas toujours souhaitable. La
conclusion partielle après la lecture de cet ouvrage pourrait être la
suivante : même s’ils n’ont rien inventé ou pas grand-chose, les
anarcho-punks ont toujours été à la pointe, voire à l’avant-garde des luttes
environnementalistes et dans toutes leurs ramifications, pas seulement pour
dénoncer, mais aussi pour construire un autre monde. Ils furent parmi les
pionniers de sujets sociétaux aujourd’hui au cœur des réflexions, notamment sur
la question animale, anti-nucléaire, anti-capitaliste, mais aussi plus
prosaïquement sur la culture D.I.Y. (on en parle beaucoup depuis quelques
années dans les milieux bobos qui croient avoir inventé le fil à couper le
plomb). La curiosité des anarcho-punks a fait que leur combat a toujours été au
cœur de leurs pensées et de leur environnement, ceci bien avant que les médias
s’emparent des sujets, un mouvement d’une incroyable richesse, d’un
foisonnement sans fin, qui fait qu’aujourd’hui il est presque stupéfiant de
constater que nombre de problèmes sociétaux du XXIème siècle ont déjà été débattus
chez les anarcho-punks depuis deux ou trois (parfois quatre !) décennies.
N’oublions pas celui sur l’écriture inclusive, débat absent – car hors sujet –
dans le présent livre mais pourtant bien réel chez les anarcho-punks depuis
plusieurs décennies. Pour finir, il me paraît indispensable de voir en ce
mouvement un vrai « lanceur d’alerte » général et toujours vif, sans
cesse aux aguets et loin d’être éteint. Sans tomber une seule seconde dans
l’idolâtrie, n’oublions jamais l’impact qu’a pu avoir CRASS sur les questions politiques,
environnementales et de cause animale. Ce documentaire qui fait un bien fou est
sorti aux Éditions indépendantes (forcément) LE PASSAGER CLANDESTIN en 2016.
L’ultime conclusion (après je vous rends votre liberté, promis craché) sera
celle même de ce livre hautement salutaire : « On pourrait bien se
convaincre aujourd’hui que, si le punk est mort, son cadavre bouge
encore ». Et pour longtemps.
(Warren Bismuth)