Premier roman, auteure bruxelloise, il n’en fallait pas
davantage pour que j’attaque « La vraie vie », d’Adeline DIEUDONNÉ.
La quatrième de couverture m’offre manifestement une thématique qui m’est
chère : l’adolescence et les familles dysfonctionnelles. Quelle
aubaine !
Ça ne commence pas vraiment comme un conte de fées : il y
a les parents, une mère timide, effacée, manifestement violentée, par les mots
et par les poings ; le père, ce tortionnaire, adepte de la chasse au grand
gibier et qui sanctuarise une pièce du logement pour y créer une sorte de
cabinets de curiosités, à base d’animaux empaillés, issus de ses traques.
Traques qui servent manifestement de soupape puisqu’il s’avère que sa violence
se déchaîne d’autant plus qu’il n’est pas allé poursuivre son dessein
meurtrier.
Qui dit parents dit enfants : l’aînée, la narratrice, dont
le prénom reste inconnu et le petit frère Gilles, auréolé d’innocence. Il y a
le chien, animal fidèle, qu’il faudra sauver, plusieurs fois.
Il y a le cadre, le « Démo », quartier fait de bric
et de broc après qu’un promoteur eut l’idée de construire des habitations à la
fois modernes et pas chères, le tout étant bétonné, asphalté, et de très
mauvais goût. Seule la forêt environnante permet de donner à l’ensemble un
aspect à peu près acceptable.
Ce tableau plutôt vert de gris, va se noircir définitivement à
cause d’un cornet de glace à la chantilly. Le monde déjà fragile bascule
complètement et la narratrice n’aura de cesse que de trouver des astuces, entre
autosuggestion et magie, pour récupérer son paradis perdu, ses jeux d’enfant
dans une casse. Tout est brisé : le petit frère, le visage de sa mère et
même le peu qui la liait encore à son père, autant craint qu’adulé, auquel elle
lutte pour plaire. Et il y a la hyène, à la fois animal empaillé et poison qui
se distille lentement, mauvais œil qui la traque et qui la torture, qui éloigne
l’innocence de la maison où il en demeurait bien peu.
La narratrice grandit et la petite fille laisse place à l’adolescente :
l’œil du père se modifie, son regard change, il perd son travail dans un parc
d’attractions. Petit prodige en sciences et plus particulièrement en physique,
elle est repérée par son professeur de sciences qui la recommande chaudement à
l’un de ses amis professeur émérite qui va se charger de nourrir son esprit et
qui va, sans le savoir, la sauver du marasme familial. Pour payer ses cours,
elle va faire du baby-sitting, ce qui lui permet, par l’intermédiaire du
valeureux Champion, de découvrir son corps, ses premiers émois.
L’ambiance du roman va crescendo, et autant
dire qu’avec ses 265 pages, le lecteur n’a pas le temps de souffler. Lu d’une
traite, en marchant même, on ne peut se résoudre à laisser cette jeune fille
seule à la merci de cette gangrène familiale. L’acmé est atteinte dans les
bois, comble de la noirceur, sorte de battle royale à laquelle on peine
à croire tant ce passage est empreint de violence (familiale).
Plus un roman noir qu’un véritable roman d’apprentissage (bien
qu’il ait des deux), La vraie vie ne nous laisse aucun répit. On le referme
avec une bouffée d’optimisme bien qu’il en coûte de quitter une narratrice
aussi attachante.
Adeline DIEUDONNÉ est une auteure dont il faut absolument
surveiller les sorties futures, en quête d’une autre pépite. Foncez dessus en
librairie, c’est édité chez L’Iconoclaste.
(Emilia
Sancti)