« Ça raconte Sarah », ça raconte ça,
Sarah conte Sarah, Sarah compte Sarah, pourquoi toutes ces possibilités ?
Roman de la rentrée 2018 venant tout juste de paraître aux Éditions de Minuit,
c’est avant tout une histoire d’amour à mort, une passion destructrice. La
narratrice, enseignante et mère d’une jeune fille issue d’un premier mariage,
séparée mais avec un nouveau fiancé, rencontre cette Sarah, qui joue de la
musique classique dans un quatuor partant souvent en tournées un peu partout
dans le monde. Sarah, avec ce S sent le soufre (symbole chimique
« S »), imprévisible, capricieuse, violente même, folle amoureuse de
la narratrice et pourtant si envahissante par ce caractère emporté et
volcanique (« L’amour avec une
femme : une tempête »). Elles tombent amoureuses l’une de
l’autre, première expérience lesbienne pour chacune d’elles.
Sarah est une impatiente qui désire tout
et tout de suite. La narratrice est sous son emprise, elle est même atteinte de
mimétisme lorsqu’elle fait tout comme Sarah, vit comme Sarah, mange comme Sarah,
aime comme Sarah. Elle s’oublie en Sarah, elle en oublie sa propre fille, sa
propre vie. Sarah est partout, tout le temps, alors qu’elle est pourtant
souvent en tournée, c’est d’ailleurs là que son amour déborde :
lorsqu’elles sont loin l’une de l’autre. Lors des retrouvailles, c’est souvent
la fête, l’alcool. Seulement voilà, Sarah devient moins amoureuse, moins
présente, plus mystérieuse, jusqu’au jour où elle déclare à la narratrice
qu’elle est atteinte d’un cancer.
Un roman froid servi par une écriture
tranchante, désenchantée. Deux parties distinctes : la première avec
Sarah, la seconde sans elle, car, et vous l’aurez peut-être deviné, Sarah va
mourir. C’est ensuite que la véritable plongée dans les méandres de la vie va
commencer pour la narratrice. Pourquoi « Sarah conte Sarah » comme
relevé en préambule de cette chronique ? Car la narratrice s’est fondue en
Sarah, a tellement voulu lui ressembler qu’elle est parfois devenue Sarah
elle-même. Pourquoi « Sarah compte Sarah » ? À un moment, seule,
en Italie, la narratrice voit des Sarah partout, obsession, folie, toutes les
femmes s’appellent Sarah, elles sont innombrables.
L’auteure surligne cette phase de
« latence », lorsque tout est figé avant un recommencement. Cette
latence entraîne ici une remise en question, en tout cas des doutes sans
fin : « Elle est morte. Je ne
regarderai plus sa bouche, ahurie, me dire qu’elle ne m’aime plus, qu’elle
n’est plus amoureuse de moi. Je suis sauvée ». Mais deux pages
seulement plus loin « Il faut que je
m’en sorte. Elle est morte, putain. Elle ne m’aime plus. Elle ne veut plus
m’aimer. (…) Ma petite fille. Mon enfant si douce, si drôle ».
Ambivalence à chaque page.
Ce roman est une descente aux enfers, avec
ces retours sur les lieux où elles ont été heureuses, l’Italie, pour bien se
faire mal, un peu plus, un peu plus profondément. L’alcool, mais plus pour les
mêmes raisons, les mêmes prétextes. Des rituels, de la bouffe aux gestes, comme
un robot, la narratrice perd pied. D’ailleurs, les références musicales, cinématographiques, nombreuses dans la première partie du bouquin, sont presque
inexistantes dans la seconde, même si des titres ou refrains de chansons
viennent encore jouer un air, comme pour provoquer une joie qui ne vient pas.
Désintéressement soudain.
Un premier roman court, une écriture
soignée (parfois volcanique comme Sarah), et quelques questions en suspens
après la dernière page tournée, attendons la suite.
www.leseditionsdeminuit.fr/
(Warren
Bismuth)
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