Corina Ciocârlie nous invite au voyage, à l’un de ces voyages immobiles où c’est par la pensée, la réflexion et l’imagination que le lectorat traverse un paysage. Ici ce sera Rome, comme l’indique facétieusement le titre de l’ouvrage, par ailleurs sous-titré « Ville éternelle, regards croisés ». Mais ce n’est pas un voyage commun que l’on va effectuer, puisque ce sont des écrivains ou des réalisateurs qui vont nous servir de guides.
Corina Ciocârlie a glané ses informations dans de nombreux livres, de nombreux films. La liste des « participants », une soixantaine, est aussi impressionnante que variée. Parmi les plus connus, côté littérature : Joachim Du Bellay, Lord Byron, Johann Wolfgang von Goethe, Stendhal, Edgar Allan Poe, Nikolaï Gogol, Alexandre Dumas, Gustave Flaubert, Herman Melville, Mark Twain, Emile Zola, André Gide, Michel Butor, Patrick Modiano, Thomas Bernhard, Jean-Paul Sartre, Marguerite Duras et tant d’autres. Face caméra sont convoquées des scènes de Roberto Rossellini, Vittorio de Sica, Luchino Visconti, Federico Fellini, Pier Paolo Pasolini, etc. Mais c’est peut-être avant tout par le prisme des héros de leurs œuvres que l’autrice nous amène à découvrir la ville.
Tous vont nous engouffrer dans les ruelles de la ville de Rome, nous en montrer les joyaux historiques et architecturaux, mais pas tous empruntant le même itinéraire, bien au contraire. En allant chacun à sa vitesse. Car « CineROMAn » est avant tout la promenade littéraire et cinématographique d’une ville, de son histoire, de ses grandes heures.
Est-ce un guide touristique ? Mmh… Pas si sûr… Mais il y a de ça. D’ailleurs, Corina Ciocârlie informe à chaque page, ainsi ce « Le mot touriste vient de tour, ce Grand Tour d’Italie que les jeunes aristocrates des pays du nord de l’Europe se voyaient offrir dès le début du XIXe siècle, histoire de parfaire leur savoir-vivre et leurs connaissances en matière d’art ». Car l’Italie est réputée dans ce domaine, et Rome avant tout.
« CineROMAn » est une manière originale de découvrir une ville par le truchement des arts et de la culture dans une longue déambulation par procuration. Les visites « touristiques » de Rome sont une institution, elles sont déjà attestées vers l’an mille. On peut ne pas y trouver ce que l’on est venu débusquer : « Ils cherchaient Jules César et ils tombent sur les affiches du Duce », tout comme l’on n’est pas forcément venu chercher ce que d’autres se précipiteraient à visiter. Ainsi certains font l’impasse sur les monuments ou lieux célèbres en préférant le chemin buissonnier, flâner à l’affût de l’inconnu, l’insolite.
La littérature prend une place importante dans l’ouvrage (« Le voyage en Italie est devenu un genre littéraire, on n’y peut rien »), le cinéma également, nombreux sont les touristes ou les autochtones qui s’amusent à recréer une scène de film, sur les lieux mêmes du tournage, imitant les mimiques des stars.
Ce voyage immobile est riche en enseignements, il est comme le plan déplié et détaillé d’une ville tissé par de nombreux artistes internationaux sur plusieurs siècles en une sorte de superpositions de couches historiques. Au centre de ce plan, le Tibre, le Colysée, le Vatican. Mais pas seulement. Un exemple parmi tant d’autres : les illusions d’optique de la galerie Spada. Je prends le pari que ces pages vous feront interrompre votre lecture afin de vous connecter sur la toile et rechercher des photographies du lieu afin de vous rendre compte par vous-même. En parlant de photographies, nombreuses sont celles qui accompagnent le présent volume afin de mettre en images les propos de l’autrice.
Rome est aussi la ville – moins que Venise peut-être – des amoureux. Ici les amours sont souvent cachées, secrètes, énigmatiques, comme peut l’être la ville dans laquelle les amants se perdent. Pour eux comme pour nous, Rome défile, ne dort pas, les portes cochères s’ouvrent et nous découvrons une ville inédite, avec la fascination qu’elle exerce et son ampleur, son histoire. Un voyage pour pas cher, prenant pour guide Corina Ciocârlie qui dans un travail vertigineux de documentation, une bibliographie / filmographie conséquente, nous tend son fil d’Ariane afin que nous explorions « son » trésor, Rome. Le livre, toujours impeccablement présenté, vient de sortir aux éditions Signes et Balises, il est une immersion totale dans les rues et les parcs, les monuments et les passages secrets de la ville de Rome. Pour finir laissons la parole à Stendhal qui écrit à propos de Rome « Si j’avais le pouvoir, je serais tyran, je ferais fermer le Colysée durant mes séjours à Rome ».
https://www.signesetbalises.fr/
(Warren
Bismuth)