Cette pièce de théâtre kurde originellement sortie en 2018 comporte 24 chants et deux personnages principaux : une jeune femme de 24 ans, Şerîn, et un jeune homme du même âge, Ferhad. Elle est une kurde qui a grandi en Allemagne, habite à Bonn depuis cinq années. Lui est un irakien qui a fui son pays dans la tourmente de la guerre et du chaos. Tous deux sont de culture yézidie.
Dans le premier chant, ils se cherchent, interrogent les passants. Chant essentiel pour appréhender le dernier chant. Şerîn et Ferhad se sont rencontrés auparavant à Istanbul.
Şerîn a été recueilli tout d’abord par ses grands-parents qui l’ont élevée comme une turque, non comme une kurde, avant de rejoindre l’Allemagne. Şerîn et Ferhad racontent leur parcours, par petites touches pudiques, chacun victime des guerres ethniques, religieuses ou politiques. La famille de Ferhad a particulièrement souffert sous la dictature de Saddam HUSSEIN. Puis vint Daesh…
Cette pièce de théâtre courte et intense est celle de la fuite. Fuir un régime, une oppression, chercher une terre d’asile, se mouvoir en permanence, sans objectif, sans avenir, fuir pour simplement survivre.
« On appelle « gravité » la capacité du globe terrestre à vous attirer vers lui. Chaque objet est doté d’une certaine masse et chaque masse est dotée de sa propre attraction. La gravité est la capacité d’attraction de la masse du globe terrestre, celle-là même qui attire tous les objets. Tous les objets s’opposent ou s’attirent en fonction de leur masse. Plus la masse est importante, plus son pouvoir d’attraction est important. Sur la terre, toutes les masses s’opposent. On appelle ça la loi de la gravité terrestre ».
Cette gravité est le fond du message ici donné. Şerîn et Frehad vont-ils s’attirer ? Mais ils doivent tout d’abord se croiser. Se croiser semble être le terme exact. Car Şerîn voudrait connaître le Kurdistan que Ferhad fuit. L’une part au sud, l’autre au nord, l’une vit dans la ville que l’autre souhaiterait prendre pour destination en quittant ce même Kurdistan. Puis vient Istanbul…
Passage par la région du Rojava, la fuite, toujours, aller vers l’espoir, la paix, la sérénité. Mais où et comment ? Mîrza METÎN nous emmène aux tréfonds des migrations en quelques dizaines de pages. Il a rencontré les protagonistes qu’il dépeint dans « Gravité », il est lui-même kurde et engagé. Ce parcours de vie vient de sortir aux éditions l’espace d’un Instant, la préface tout en sobriété est signée Frank HEUEL (ici traduite de l’allemand par Nicole DESJARDINS) et la traduction de la pièce est l’œuvre de Atilla BALıKÇı. Encore une splendide œuvre collective internationale à se procurer.
https://www.sildav.org/editions-lespace-dun-instant/presentation
(Warren Bismuth)