Dans
le cadre du challenge interblogs « Les classiques c’est fantastique »
initié par les blogs Au
milieu des livres et Mes
pages versicolores, et portant ce mois-ci sur le thème « Parlez-nous
d’amour, dites-moi des choses tendres », j’ai choisi une longue nouvelle
de DOSTOÏEVSKI pour illustrer le thème.
Lorsqu’il écrit « Les nuits blanches » en 1848, DOSTOÏEVSKI n’a alors publié que deux romans : « Les pauvres gens » et « Le double », et n’a pas encore été emprisonné ni condamné à mort (il sera gracié à la dernière minute) pour sa participation au cercle Petrachevski.
Nouvelle intimiste portée par seulement deux personnages, « Les nuits blanches » est une histoire d’amour accouchée des profondeurs de Pétersbourg, la ville faussement rutilante, qui par ailleurs se trouve être le troisième protagoniste de cette confession douloureuse.
Car il s’agit bien ici d’une confession. Un homme, le narrateur, déambule dans les rues de Pétersbourg, solitaire et torturé. Une jeune femme de 17 ans est approchée par un inconnu trop rapidement entreprenant. Le narrateur intervient et fait fuir le coquin. S’ensuivent de longs dialogues entre lui et la jeune femme, Nastenka, tous deux vont confier leur parcours, leurs ressentis, leurs peines, leurs souffrances.
Le narrateur s’entiche rapidement de la jeune fille. Ils vont se revoir pour échanger des mots, des pensées, des souvenirs, pendant quatre nuits. Le narrateur tombe follement amoureux. Seulement, Nastenka, orpheline, habite chez sa grand-mère possessive, où vit depuis peu un jeune locataire féru de littérature, qui est loin de laisser indifférente la jeune fille.
« Les nuits blanches » est peut-être le plus poétique des textes de DOSTOÏEVSKI, qui pourtant, au-delà de son génie de conteur, a toujours été un piètre modeleur de phrases. Ici, par ses évocations de Pétersbourg mais aussi des sentiments des deux personnages, il met sa plume en exergue de manière étonnante et singulière. D’ailleurs, tout le texte est un hommage appuyé à la poésie russe du XIXe siècle. Les quatre nuits, sous forme de confessionnal, laissent place à un matin au goût d’échec, dans une dernière partie désenchantée, d’une noirceur totale.
L’amour en version russe : impossibilité d’aimer, suffocation dans les sentiments, passion suivie de désillusion, isolement, détresse, soliloques sombres. Dans ce texte, DOSTOÏEVSKI n’est pas encore cet écrivain peignant d’immenses fresques psychologiques, il est dans l’intime, mais déjà dans une grande souffrance morale.
« Pourquoi, par une espèce de magie, par la lubie d’une force qui nous reste inconnue, les larmes jaillissent-elles des yeux de ce rêveur, ses joues pales et mouillées se mettent-elles à brûler et toute son existence se remplit-elle d’une joie si incontrôlable ? Pourquoi de longues nuits d’insomnie s’effacent-elles comme un seul instant, dans une joie, dans un bonheur infini, cependant qu’au moment où le rayon rose de l’aurore vient frapper sa fenêtre et où l’aube éclaire sa chambre renfrognée d’une lumière douteuse et fantastique, comme chez nous, à Pétersbourg, notre rêveur, fatigué, épuisé, se jette sur son lit et s’endort dans les derniers frémissements d’exaltation de son esprit maladivement bouleversé, enfin, pourquoi le fait-il avec une douleur si languissante, si douce au fond de l’âme ? ».
La postface est signée Michel del CASTILLO et revient sur l’homme abominable et torturé que pouvait être DOSTOÏEVSKI. La traduction d’André MARKOWICZ colle au plus près des préoccupations humaines et stylistiques (absence de style) de DOSTOÏEVSKI. MARKOWICZ a traduit l’intégrale de DOSTOÏEVSKI, il lui a redonné toute sa puissance, sa maladresse émouvante, il a fait le choix de ne pas embellir son écriture. Pari hautement réussi. « Les nuits blanches » peut être ce pied à l’étrier donnant accès aux chefs d’œuvre de l’écrivain, ceux qui laissent un goût inaltérable dans la gorge, une expérience unique qui marque une vie à tout jamais.
(Warren Bismuth)
De lui je n'ai lu que L'idiot ( grâce au challenge justement !) et j'ignorais qu'il avait écrit des nouvelles de ce type.
RépondreSupprimerCelle-ci est tout de même l'une des, plus sombres.
SupprimerCela change des romans que j'ai lus, et que j'ai aimés. Tu parles très bien de cette nouvelle que j'aimerais découvrir.
RépondreSupprimerMerci beaucoup, la découvrir uniquement si traduction de Markowicz 😁
SupprimerCette longue nouvelle m'avait renversée. Quelle tristesse. Du bon et court Dostoïevski...
RépondreSupprimerOh mais tu me déniches là un titre qui m'intéresse beaucoup !
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