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mercredi 19 mars 2025

Julie GILBERT « On disait les Indiens »

 


Texte hybride, entre poésie libre et performance théâtrale (il fut d’ailleurs joué sur les planches), il peut aussi être lu comme un témoignage historique au vitriol. L’autrice Julie Gilbert, franco-suisse, a vécu une vingtaine d’années au Mexique où elle a côtoyé les nations autochtones.

 

La narratrice de ce magnifique texte, une anonyme mais qui pourrait fort bien être un double de l’autrice, se rend au Nord du Mexique tout près de la frontière états-unienne, avec sa mère après qu’elles aient quitté le pays quarante plus tôt après y avoir séjourné six mois. La narratrice n’y a plus de souvenirs, elle n’avait alors qu’un an. Elles sont de descendance Yaqui, une tribu de la région, implantée près de Sonora. C’est là-bas que les légendes renaissent.

 

La narratrice et sa mère revoient un village (celui où elles ont vécu) vieilli et baignant dans son jus. « Et c’est comme si ce qu’on était venu chercher / S’était volatilisé / Effacé / Que tout ça n’avait pas eu lieu / Que tout cela appartenait définitivement au passé / À nos mémoires de femmes blanches / À nos mémoires de femmes étrangères ».

 

Texte révolté comme clamé en un seul souffle, il dénonce l’injustice devant le sort qui fut réservé aux autochtones par les Blancs, en particulier près de ces terres où les deux femmes retournent. Description d’un paysage pollué par des usines états-uniennes implantées là et pompant l’énergie des femmes qui travaillent, les déshumanisant, et puis ces gazoducs traversant les terres Yaqui de part en part, terres prêtées contre quelques billets aux populations locales. Les Yaqui étaient redevenus propriétaires de leurs terres en 1937 mais devant l’urgence financière, ils ont dû se résoudre à les louer. Aux Blancs. Dans cette région poussent aussi les casinos, les jeux d’argent sont un triomphe.

 

Au départ, la narratrice envisageait de tourner un film sur la spiritualité des peuples autochtones, mais eux ne désirent pas échanger sur ce thème qu'ils gardent jalousement pour eux. Leur spiritualité, ils ne désirent pas la confier. La narratrice reprend la route à plusieurs reprises. Diverses étapes dans de petites villes isolées d’altitude où l’empreinte capitaliste est pourtant clairement visible jusque dans les réserves Indiennes, même si d’évidence une résistance anti-états-unienne subsiste.

 

Arrêt à Window Rock, siège du gouvernement Navajo, l’occasion pour Julie Gilbert de rappeler que ce terme de navajo fut inventé par les Blancs, les autochtones se définissant de leur côté comme Dinés (le peuple). Dans les réserves, dans les bourgs comme partout, alcool, drogues hallucinogènes font des ravages. Le Blanc a encore réussi sa mission de destruction, d’anéantissement. « Cannibale enragée / Mangeant l’Indien / Mangeant tout / Mangeant ses terres / mangeant son corps / Notre cannibalisme ne semble pas avoir de fin / Et maintenant, nous voilà / En troupeau ».

 

Retour sur le traité de Fort Laramie de 1868, attribuant les Black Hills aux nations autochtones. Mais très vite les Blancs se sont rendu compte que le sol renfermait de grandes quantités d’or. D’où la révision du traité. Retour sur les pensionnats religieux qui ont « éduqué » les jeunes Indiens, les ont rendus à l’état d’esclaves, par la violence, le viol. Le tout est ponctué de chants et contre-chants. En peu de pages, Julie Gilbert retrace par des images fortes tout le calvaire du peuple autochtone au fil des générations. Des portraits de résidents croisés sont brossés, ils sont beaux, vrais.

 

Ce livre engagé est une vraie belle surprise, contant avec colère mais tendresse, violence mais poésie, la destinée des Dinés et Navajos qui, comme toutes celles des nations premières, est une tragédie extraordinaire. Le texte fut écrit puis mis en scène en 2018. La version papier, ici présentée, est parue en 2024 aux éditons Passage(s) (devenue Passage(s) et traverse(s) ???) et vaut le détour par la mine d’information qu’elle renferme et le profond respect qu’elle dégage.

https://www.passages-et-traverses.com/

(Warren Bismuth)

dimanche 28 avril 2024

B. TRAVEN « Rosa Blanca »

 


En avril, ne désarme pas d’un fil ! C’est ainsi que Au milieu des livres et Mes pages versicolores, les deux blogs de choc pilotant le challenge mensuel « Les classiques c’est fantastique », me font indirectement et inconsciemment un précieux cadeau avec le thème : « Indignez-vous ! Les classiques révoltés ». Trois titres viendront semer les graines de la révolte côté Des Livres Rances. Première salve avec l’énigmatique B. Traven et son « Rosa Blanca ».

« Rosa Blanca » fut rédigé en 1929 alors que B. TRAVEN est installé au Mexique depuis quelques années. B. TRAVEN le brouilleur de pistes, B. TRAVEN l’homme libre, B. TRAVEN l’anarchiste individualiste effréné, très influencé par la pensée de Max STIRNER. Il est fort difficile de ne pas éprouver un sentiment de fascination envers cet auteur aussi culte que mystérieux.

Au Mexique, la Rosa Blanca est une hacienda entourée de terres qui appartiennent à la jeune et redoutable Condor Oil Company étatsunienne, qui la convoite et souhaite l’acquérir pour obtenir encore plus de production de pétrole et se développer sur le marché. La Rosa Blanca est la propriété de l’indien Hacinto Yañes, également administrateur. Pour de nombreuses raisons, qui sont entre autres la nature, la vie en communauté avec les soixante familles de ce véritable petit village et la nourriture que la terre fournit librement, Yañes refuse de vendre, quel que soit le prix. La Condor Oil Company est bien décidée à le faire plier. D’âpres tractations débutent.

« Nous avons besoin de la terre pour le pétrole, afin de pouvoir alimenter nos automobiles. Du maïs ? De la terre pour du maïs ? ». Les représentants de la Condor Oil Company ne comprennent pas le mode de vie de la communauté de la Rosa Blanca, entre simplicité et désir de fuir la servitude. Mais il est temps pour B. TRAVEN de digresser longuement et de nous présenter monsieur Collins, président de la C.O.C., sa vie construite à partir de la recherche d’un idéal matérialiste, capitaliste, où la femme tient un grand rôle… de soumission et d’obéissance. Le roman se déploie alors sur le fonctionnement du système capitaliste, des inégalités voulues, de la puissance, du pouvoir. B. TRAVEN se fait alors cynique, dénonçant l’absurdité du consumérisme et l’asservissement de la presse (il a toujours regardé la presse d’un œil particulièrement critique), le tout en des raisonnements fins et implacables, multipliant les exemples pour parfaire sa thèse.

Un scandale éclate au sein de la famille Collins. Collins doit en empêcher la divulgation qui de fait le stopperait net dans son ascension professionnelle. Il est influent chez les politiques et les grandes entreprises, il a même permis de provoquer sciemment une grève des ouvriers pour mieux les soumettre ensuite, les accusant publiquement, ainsi que les syndicats, du récent crash boursier. D’ailleurs, comme avec tout ce qui tombe sous sa houlette, Collins joue avec la Bourse. Il vient d’être établi que les terres de l’hacienda « Rosa Blanca » renferme du pétrole. Ce diable de Yañes va devoir être convaincu de gré ou de force à céder sa propriété.

B. TRAVEN enfonce le clou, se dresse contre les guerres : « Aucun roi, aucun président de la République, aucun groupe de capitalistes ne déclarera la guerre sans le justifier en proclamant qu’elle est utile au bien public, qu’elle est inévitable pour telle ou telle raison et que l’honneur national l’exige ». Fut-ce une guerre sociale. La réflexion d’un protagoniste pourrait à elle seul, certes ne pas résumer le roman, mais bien en montrer le but inavoué du côté des entreprises puissantes : « On a beau coller sur les bouteilles de étiquettes devenues toutes grises de vieillesse et portant en caractères gothiques « Scotch Whisky », ce n’est quand même pas une preuve qu’il y ait vraiment du whisky dans la bouteille. Cela peut-être tout aussi bien une solution de cyanure de potassium. Et l’on peut encore s’estimer heureux si l’on s’en aperçoit avant d’en avoir avalé une trop grande gorgée ». Car B. TRAVEN creuse son texte jusqu’à la racine, y extirpe toutes les maladies de la société capitaliste, en partie celle cherchant à s’implanter durablement au Mexique. Il ne se contente pas de dénoncer, il développe, pointe l’absurdité d’un système qu’il voit bientôt à bout de souffle, avant que le récit ne se transforme subitement en sorte de polar noir bien bâti, puis revienne sur les terres de la « Rosa Blanca » accablées par les drames.

« Rosa Blanca » est typique de B. TRAVEN : engagement sans limite tout en restant « sur le bord », en bon individualiste qui se respecte. B. TRAVEN mord intelligemment et jamais gratuitement. Qui fut-il ? Il reste de nombreuses failles dans sa biographie. Il ne cessa de se cacher, désirant garder un anonymat complet (où est d’ailleurs la preuve formelle de sa véritable identité ?). Il est fascinant parce qu’il ne donne rien de lui, alors que pourtant dit-il, tout est expliqué dans ses romans. Né en 1882 (même si là aussi les preuves manquent) il s’éteint en 1969… au Mexique, où il aura vécu une grande partie de sa vie, lui vraisemblablement sujet allemand. Les traductions de ses romans furent longtemps amputées, non respectées, bâclées, détériorées, rendant les récits difficilement lisibles. Ce n’est qu’au XXIe siècle que l’on se penche sur des retraductions, au moins sur des révisions de traductions. Celle présentée aujourd’hui est signée Charles BURGHARD à partir de l’allemand, revue et augmentée par Pascal VANDENBERGHE.

L’une des grandes nouvelles de l’année littéraire est que les magistrales éditions Libertalia viennent d’obtenir l’exclusivité des droits de l‘œuvre de B. TRAVEN (c’est déjà elles qui avaient publié en 2018 sa copieuse biographie signée Rolf RECKNAGEL « B. TRAVEN, romancier et révolutionnaire »), ce qui va permettre à son œuvre de débuter une nouvelle vie. Ce n’est que justice.

 (Warren Bismuth)



mercredi 19 août 2020

Rolf RECKNAGEL « B. Traven, romancier et révolutionnaire »

 

Le plus mystérieux des écrivains du XXe siècle a ici droit à une épaisse biographie. Enfin, le terme biographie n’est peut-être pas tout à fait approprié puisque B. TRAVEN a toute sa vie brouillé les pistes afin que l’on ne découvre pas qui ce cachait sous ce nom. Et d’ailleurs, ce patronyme, pourtant le plus connu du monsieur, n’est qu’un parmi des dizaines de pseudos dont toute sa vie il se travestira.

 

Puisque B. TRAVEN avait déclaré en 1926 que « Si on ne reconnaît pas l’homme à ses œuvres, de deux choses l’une : soit c’est l’homme qui ne vaut rien, soit ce sont ses ouvrages. L’homme créatif ne doit pas avoir d’autre biographie que ses œuvres. C’est dans ses œuvres qu’il soumet à la critique sa personnalité et sa vie », Rolf RECKNAGER a pris la balle au bond, a interrogé à la virgule près l’œuvre de B. TRAVEN. Et a pu y déceler des pistes, parfois sérieuses.

 

Le but de cette chronique n’est pas de réitérer en mode résumé et à ma façon une biographie fantasque de B. TRAVEN. Mais sachez, pour bien vous mettre l’eau à la bouche, que le mystère est épais, que les indices avancés par RECKNAGEL, si solides soient-ils, ne sont souvent que des suppositions. Le nombre d’enquêtes ouvertes par des journalistes du monde entier pour percer ce mystère a été légion. Et pourtant, hormis quelques anecdotes ou parties de vie de l’auteur, personne n’a pu définitivement lever de manière probante le secret de son identité.

 

Il serait né en Allemagne, mais peut-être aux Etats-Unis, ou ailleurs. Des rumeurs disent même qu’il serait le fils bâtard du futur empereur Guillaume II, personne ne peut donner son année de naissance avec certitude, elle se situe entre 1882 et 1890. Quant à son propre nom, n’en parlons pas. Les medias se sont quelque peu acharnés sur B. TRAVEN, lui cherchant à tout prix un passé, une identité, il fut même dit que c’était Jack LONDON en personne, en fait non décédé, qui se cachait derrière les écrits de B. TRAVEN. Tant de légendes ont émaillé sa carrière qu’il est parfois impossible de trier le vrai du faux, ainsi l’a voulu B. TRAVEN, pacifiste convaincu et ennemi du capital.

 

Le premier nom qui le fit connaître par ses écrits dans un journal révolutionnaire allemand en pleine première guerre mondiale fut Ret MARUT. Ce qui est sûr, c’est qu’il va s’enfuir d’Allemagne, passer par divers pays européens, être emprisonné une première fois (d’autres suivront) pour défaut de passeport, et atterrir au Mexique. C’est là-bas, notamment dans la région du Chiapas, qu’il passera l’une des plus grandes parties de sa vie.

 

B. TRAVEN était complètement imprégné des idées politiques anarcho-individualistes de Max STIRNER et le démontra dans ses romans. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il était un véritable érudit et ennemi des mathématiques. Les éléments de cette biographie abordant ce sujet sont par ailleurs assez ardus. Nous apprenons aussi que le bonhomme savait être particulièrement colérique, tantôt humble et tantôt sûr de lui et refusant le dialogue.

 

L’écrivain vivait reclus, contrôlait de main de maître sa carrière et les publications de ses livres. Il est bien sûr fait état dans cette biographie de sa participation à la version cinématographique du « Trésor de la Sierra Madre » et de la célèbre anecdote où il assiste incognito (du moins sous le nom de son faux impresario) à son tournage. John HOUSTON n’y verra que du feu.

 

Cet essai est avant tout une analyse profonde et détaillée des écrits - romans en particulier - de B.TRAVEN, cherchant à percer les mystères de la vie du personnage à travers ses textes. Ses romans peuvent parfois être durs à lire en français. En effet, nous apprenons qu’écrits en langue allemande, ils pouvaient être traduits de l’original vers un anglais cavalier avant d’être ensuite traduits en français à partir de l’anglais, et se trouvaient même quelquefois traduits en espagnol avant ! Lui-même réécrivait parfois en partie ses œuvres, notamment pour y biffer les références à l’Allemagne, le premier pays où il fut connu, là encore dans un désir évident de brouiller les pistes et faire disparaître son passé.

 

Il fut un temps où B. TRAVEN fit interdire ses publications au Mexique où il vivait, par souci de tranquillité. Les camarades espagnols lui demanderont de les rejoindre lors de la guerre d’Espagne, ce qu’il refusera pour la raison suivante : « Mais non, camarades, je n’irai(s) pas. Je prendrai(s) l’argent pour acheter ici de la ouate, du lait condensé, du café et des cigarettes et vous les envoyer aussitôt. Car tout comme je sais que j’aimerais visiter l’Espagne, je sais aussi que vous avez besoin de ces choses, pour gagner plus rapidement la guerre, alors que ma présence n’est pas nécessaire, ni pour gagner la guerre, ni pour vous abreuver de bons conseils. Vous savez très bien ce dont vous avez besoin et ce que vous voulez. Vous n’avez pas besoin d’écrivains, même issus des rangs des travailleurs révolutionnaires, pour vous dire comment améliorer votre situation ».

 

Le comble fut peut-être ces auteurs qui empruntèrent son nom de notoriété publique pour faire paraître des œuvres bien à eux. En effet, puisque personne ne semblait savoir qui était B. TRAVEN, il était de fait aisé d’usurper son identité.

 

Le présent livre est fait de très nombreux témoignages, mais aussi de longs extraits de ses textes, sans oublier les détails sur les enquêtes menées par les médias. Ce bouquin est dense et sur près de 500 pages il peut parfois être difficile d’accès, mais il est une mine d’or pour tenter de mieux éclaircir ce mystère opaque qu’est la vie et l’œuvre de B. TRAVEN. Sorti en 2018 chez Libertalia.

 

« Je ne suis rien d’autre qu’un produit de l’époque dont le vœu le plus cher est de se fondre dans la grande universalité, dans un complet anonymat, afin de vous hurler ses paroles (…). Je n’ai pas même la moindre ambition littéraire (…). Je ne suis pas un « écrivain », non, je hurle. Je ne veux rien être d’autre que : parole ! Et je veux la crier dans toute la mesure de mes facultés intellectuelles et matérielles ».

https://www.editionslibertalia.com/

(Warren Bismuth)

lundi 6 janvier 2020

Jordi SOLER « Ce prince que je fus »


Tout commence vers 1520 lorsqu’au Mexique, Xipaguazin, fille du dernier empereur aztèque Moctezuma II, est enlevée par le capitaine Don Juan de Grau, baron espagnol de Toloríu. 500 ans plus tard, au XXe siècle, tout début des années 60, Federico de Grau Moctezuma se proclame de son Espagne natale le digne descendant de la princesse Xipaguazin, qui soit dit en passant était folle à lier. Une descendance qui ne tombe pas si mal pour le dictateur espagnol FRANCO. Désireux de redorer son blason auprès d’un Mexique qui le déteste et a stoppé toutes relations diplomatiques avec l’Espagne en 1939, il va tenter d’utiliser « Son Altesse Impériale » Federico de Grau pour qu’il lui serve de tremplin. Pour de Grau, c’est aussi une chance inespérée d’affirmer sa descendance, bientôt contestée. Le dictateur et le prince, alors âgé de 23 ans, vont se rencontrer à plusieurs reprises afin d’ouvrir des négociations avec le Mexique. Le peintre Salvador DALI va à cette occasion jouer une petite partition, tuée dans l’œuf.

Le prince va profiter de son titre, festoyer à tout crin, se saouler sans vergogne, menant grande vie. Exubérant (ses tenues scintillantes ne passent pas inaperçues), provocateur, ivrogne, ce prince semble aussi être un mystificateur, son héritage n’est peut-être pas aussi limpide que ce que de Grau veut bien en laisser voir. C’est ce qu’apprend le narrateur, journaliste (Jordi SOLER lui-même) en menant l’enquête, au départ afin de découvrir un possible trésor aztèque enfoui quelque part dans les Pyrénées, ensuite en décidant d’entreprendre une biographie du prince.

Un prince qui va vivre une descente aux enfers, une déchéance proche de l’apocalypse, qui va se saouler à ne plus en pouvoir, après avoir profité allègrement de la rente que lui aurait (vous noterez le conditionnel, voir plus loin) versé le Mexique en tant qu’unique héritier de la princesse Xipaguazin et descendant du dernier empereur aztèque.

Cette biographie est-elle véritable ? Il est permis d’en douter. Elle semble plutôt jaillie du cerveau en ébullition de l’auteur. Certes, le sinistre FRANCO a bel et bien – et malheureusement - existé, ses relations avec le Mexique furent impossibles, Moctezuma a également existé. Mais qu’en est-il de ce prince expansif ? La question reste posée, la fiction semble toutefois l’emporter. Quoi qu’il en soit, ce récit, documenté ou joliment inventé, est plein de rebondissements, de personnages hauts en couleur, de fêtes à tout casser (orgies psychédéliques dans les années 60). Le prince a également appris quelques tirades d’un film mexicain afin de les ressortir à ses convives pour faire plus figure locale.

Le narrateur dit avoir rencontré de Grau avant sa mort, survenue au tout début du XXIe siècle. Dans ce roman picaresque (plus qu’historique dirons-nous), l’action se déplace du Mexique en Espagne en passant par l’Angleterre, le narrateur, comme de Grau, ayant la bougeotte. Les phrases sont longues, riches et complexes, l’intrigue dense, il n’est pas impossible de se perdre entre deux paragraphes. L’humour, très présent, est particulièrement caustique. Géographiquement mais aussi dans l’espace temps, ce roman donne le tournis. De flashbacks médiévaux aux situations du presque présent en passant par les années 60 et la dictature franquiste, la lecture laisse peu de répit.

Si ce qui est écrit dans ce livre s’avérait réel, nous n’aurions pas affaire à un roman, mais bien à un documentaire, un essai biographique et historique pointu. Oui mais… Il est impossible de séparer le vrai du faux, le narrateur semblant se mettre dans la peau de « son » prince afin de mystifier à son tour le lectorat qui, en fin de compte, ne sait pas sur quel pied danser, manquant de repères. Et si tout était inventé ? Je vous laisse trancher la question et découvrir ce bouquin pour lequel il vous faudra peut-être mettre votre rationalisme de côté afin de le lire comme une vraie épopée fantasmée, sortie de l’imagination fertile d’un auteur qui a, possiblement à son tour, abusé du vin en brick et du whisky dont raffolait le prince. Livre inclassable paru en 2019 chez La Contre Allée, dans la collection la Sentinelle, scrupuleusement traduit par Jean-Marie SAINT-LU.


(Warren Bismuth)