Le plus mystérieux des écrivains du XXe
siècle a ici droit à une épaisse biographie. Enfin, le terme biographie n’est
peut-être pas tout à fait approprié puisque B. TRAVEN a toute sa vie brouillé les
pistes afin que l’on ne découvre pas qui ce cachait sous ce nom. Et d’ailleurs,
ce patronyme, pourtant le plus connu du monsieur, n’est qu’un parmi des dizaines
de pseudos dont toute sa vie il se travestira.
Puisque B. TRAVEN avait déclaré en 1926 que « Si on ne reconnaît pas l’homme à ses œuvres,
de deux choses l’une : soit c’est l’homme qui ne vaut rien, soit ce sont
ses ouvrages. L’homme créatif ne doit pas avoir d’autre biographie que ses
œuvres. C’est dans ses œuvres qu’il soumet à la critique sa personnalité et sa
vie », Rolf RECKNAGER a pris la balle au bond, a interrogé à la
virgule près l’œuvre de B. TRAVEN. Et a pu y déceler des pistes, parfois
sérieuses.
Le but de cette chronique n’est pas de
réitérer en mode résumé et à ma façon une biographie fantasque de B. TRAVEN.
Mais sachez, pour bien vous mettre l’eau à la bouche, que le mystère est épais,
que les indices avancés par RECKNAGEL, si solides soient-ils, ne sont souvent
que des suppositions. Le nombre d’enquêtes ouvertes par des journalistes du
monde entier pour percer ce mystère a été légion. Et pourtant, hormis quelques
anecdotes ou parties de vie de l’auteur, personne n’a pu définitivement lever
de manière probante le secret de son identité.
Il serait né en Allemagne, mais peut-être aux
Etats-Unis, ou ailleurs. Des rumeurs disent même qu’il serait le fils bâtard du
futur empereur Guillaume II, personne ne peut donner son année de naissance
avec certitude, elle se situe entre 1882 et 1890. Quant à son propre nom, n’en
parlons pas. Les medias se sont quelque peu acharnés sur B. TRAVEN, lui cherchant
à tout prix un passé, une identité, il fut même dit que c’était Jack LONDON en
personne, en fait non décédé, qui se cachait derrière les écrits de B. TRAVEN.
Tant de légendes ont émaillé sa carrière qu’il est parfois impossible de trier
le vrai du faux, ainsi l’a voulu B. TRAVEN, pacifiste convaincu et ennemi du
capital.
Le premier nom qui le fit connaître par ses
écrits dans un journal révolutionnaire allemand en pleine première guerre
mondiale fut Ret MARUT. Ce qui est sûr, c’est qu’il va s’enfuir d’Allemagne,
passer par divers pays européens, être emprisonné une première fois (d’autres
suivront) pour défaut de passeport, et atterrir au Mexique. C’est là-bas,
notamment dans la région du Chiapas, qu’il passera l’une des plus grandes
parties de sa vie.
B. TRAVEN était complètement imprégné des
idées politiques anarcho-individualistes de Max STIRNER et le démontra dans ses
romans. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il était un véritable érudit et ennemi
des mathématiques. Les éléments de cette biographie abordant ce sujet sont par
ailleurs assez ardus. Nous apprenons aussi que le bonhomme savait être
particulièrement colérique, tantôt humble et tantôt sûr de lui et refusant le
dialogue.
L’écrivain vivait reclus, contrôlait de main
de maître sa carrière et les publications de ses livres. Il est bien sûr fait
état dans cette biographie de sa participation à la version cinématographique
du « Trésor de la Sierra Madre » et de la célèbre anecdote où il assiste
incognito (du moins sous le nom de son faux impresario) à son tournage. John
HOUSTON n’y verra que du feu.
Cet essai est avant tout une analyse profonde
et détaillée des écrits - romans en particulier - de B.TRAVEN, cherchant à
percer les mystères de la vie du personnage à travers ses textes. Ses romans
peuvent parfois être durs à lire en français. En effet, nous apprenons
qu’écrits en langue allemande, ils pouvaient être traduits de l’original vers
un anglais cavalier avant d’être ensuite traduits en français à partir de
l’anglais, et se trouvaient même quelquefois traduits en espagnol avant !
Lui-même réécrivait parfois en partie ses œuvres, notamment pour y biffer les
références à l’Allemagne, le premier pays où il fut connu, là encore dans un
désir évident de brouiller les pistes et faire disparaître son passé.
Il fut un temps où B. TRAVEN fit interdire
ses publications au Mexique où il vivait, par souci de tranquillité. Les
camarades espagnols lui demanderont de les rejoindre lors de la guerre d’Espagne,
ce qu’il refusera pour la raison suivante : « Mais non, camarades, je n’irai(s) pas. Je prendrai(s) l’argent
pour acheter ici de la ouate, du lait condensé, du café et des cigarettes et
vous les envoyer aussitôt. Car tout comme je sais que j’aimerais visiter
l’Espagne, je sais aussi que vous avez besoin de ces choses, pour gagner plus
rapidement la guerre, alors que ma présence n’est pas nécessaire, ni pour
gagner la guerre, ni pour vous abreuver de bons conseils. Vous savez très bien
ce dont vous avez besoin et ce que vous voulez. Vous n’avez pas besoin
d’écrivains, même issus des rangs des travailleurs révolutionnaires, pour vous
dire comment améliorer votre situation ».
Le comble fut peut-être ces auteurs qui
empruntèrent son nom de notoriété publique pour faire paraître des œuvres bien
à eux. En effet, puisque personne ne semblait savoir qui était B. TRAVEN, il
était de fait aisé d’usurper son identité.
Le présent livre est fait de très nombreux
témoignages, mais aussi de longs extraits de ses textes, sans oublier les
détails sur les enquêtes menées par les médias. Ce bouquin est dense et sur
près de 500 pages il peut parfois être difficile d’accès, mais il est une mine
d’or pour tenter de mieux éclaircir ce mystère opaque qu’est la vie et l’œuvre
de B. TRAVEN. Sorti en 2018 chez Libertalia.
« Je ne suis rien d’autre qu’un produit de l’époque dont le vœu le plus cher est de se fondre dans la grande universalité, dans un complet anonymat, afin de vous hurler ses paroles (…). Je n’ai pas même la moindre ambition littéraire (…). Je ne suis pas un « écrivain », non, je hurle. Je ne veux rien être d’autre que : parole ! Et je veux la crier dans toute la mesure de mes facultés intellectuelles et matérielles ».
https://www.editionslibertalia.com/
(Warren
Bismuth)
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