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mercredi 19 août 2020

Rolf RECKNAGEL « B. Traven, romancier et révolutionnaire »

 

Le plus mystérieux des écrivains du XXe siècle a ici droit à une épaisse biographie. Enfin, le terme biographie n’est peut-être pas tout à fait approprié puisque B. TRAVEN a toute sa vie brouillé les pistes afin que l’on ne découvre pas qui ce cachait sous ce nom. Et d’ailleurs, ce patronyme, pourtant le plus connu du monsieur, n’est qu’un parmi des dizaines de pseudos dont toute sa vie il se travestira.

 

Puisque B. TRAVEN avait déclaré en 1926 que « Si on ne reconnaît pas l’homme à ses œuvres, de deux choses l’une : soit c’est l’homme qui ne vaut rien, soit ce sont ses ouvrages. L’homme créatif ne doit pas avoir d’autre biographie que ses œuvres. C’est dans ses œuvres qu’il soumet à la critique sa personnalité et sa vie », Rolf RECKNAGER a pris la balle au bond, a interrogé à la virgule près l’œuvre de B. TRAVEN. Et a pu y déceler des pistes, parfois sérieuses.

 

Le but de cette chronique n’est pas de réitérer en mode résumé et à ma façon une biographie fantasque de B. TRAVEN. Mais sachez, pour bien vous mettre l’eau à la bouche, que le mystère est épais, que les indices avancés par RECKNAGEL, si solides soient-ils, ne sont souvent que des suppositions. Le nombre d’enquêtes ouvertes par des journalistes du monde entier pour percer ce mystère a été légion. Et pourtant, hormis quelques anecdotes ou parties de vie de l’auteur, personne n’a pu définitivement lever de manière probante le secret de son identité.

 

Il serait né en Allemagne, mais peut-être aux Etats-Unis, ou ailleurs. Des rumeurs disent même qu’il serait le fils bâtard du futur empereur Guillaume II, personne ne peut donner son année de naissance avec certitude, elle se situe entre 1882 et 1890. Quant à son propre nom, n’en parlons pas. Les medias se sont quelque peu acharnés sur B. TRAVEN, lui cherchant à tout prix un passé, une identité, il fut même dit que c’était Jack LONDON en personne, en fait non décédé, qui se cachait derrière les écrits de B. TRAVEN. Tant de légendes ont émaillé sa carrière qu’il est parfois impossible de trier le vrai du faux, ainsi l’a voulu B. TRAVEN, pacifiste convaincu et ennemi du capital.

 

Le premier nom qui le fit connaître par ses écrits dans un journal révolutionnaire allemand en pleine première guerre mondiale fut Ret MARUT. Ce qui est sûr, c’est qu’il va s’enfuir d’Allemagne, passer par divers pays européens, être emprisonné une première fois (d’autres suivront) pour défaut de passeport, et atterrir au Mexique. C’est là-bas, notamment dans la région du Chiapas, qu’il passera l’une des plus grandes parties de sa vie.

 

B. TRAVEN était complètement imprégné des idées politiques anarcho-individualistes de Max STIRNER et le démontra dans ses romans. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il était un véritable érudit et ennemi des mathématiques. Les éléments de cette biographie abordant ce sujet sont par ailleurs assez ardus. Nous apprenons aussi que le bonhomme savait être particulièrement colérique, tantôt humble et tantôt sûr de lui et refusant le dialogue.

 

L’écrivain vivait reclus, contrôlait de main de maître sa carrière et les publications de ses livres. Il est bien sûr fait état dans cette biographie de sa participation à la version cinématographique du « Trésor de la Sierra Madre » et de la célèbre anecdote où il assiste incognito (du moins sous le nom de son faux impresario) à son tournage. John HOUSTON n’y verra que du feu.

 

Cet essai est avant tout une analyse profonde et détaillée des écrits - romans en particulier - de B.TRAVEN, cherchant à percer les mystères de la vie du personnage à travers ses textes. Ses romans peuvent parfois être durs à lire en français. En effet, nous apprenons qu’écrits en langue allemande, ils pouvaient être traduits de l’original vers un anglais cavalier avant d’être ensuite traduits en français à partir de l’anglais, et se trouvaient même quelquefois traduits en espagnol avant ! Lui-même réécrivait parfois en partie ses œuvres, notamment pour y biffer les références à l’Allemagne, le premier pays où il fut connu, là encore dans un désir évident de brouiller les pistes et faire disparaître son passé.

 

Il fut un temps où B. TRAVEN fit interdire ses publications au Mexique où il vivait, par souci de tranquillité. Les camarades espagnols lui demanderont de les rejoindre lors de la guerre d’Espagne, ce qu’il refusera pour la raison suivante : « Mais non, camarades, je n’irai(s) pas. Je prendrai(s) l’argent pour acheter ici de la ouate, du lait condensé, du café et des cigarettes et vous les envoyer aussitôt. Car tout comme je sais que j’aimerais visiter l’Espagne, je sais aussi que vous avez besoin de ces choses, pour gagner plus rapidement la guerre, alors que ma présence n’est pas nécessaire, ni pour gagner la guerre, ni pour vous abreuver de bons conseils. Vous savez très bien ce dont vous avez besoin et ce que vous voulez. Vous n’avez pas besoin d’écrivains, même issus des rangs des travailleurs révolutionnaires, pour vous dire comment améliorer votre situation ».

 

Le comble fut peut-être ces auteurs qui empruntèrent son nom de notoriété publique pour faire paraître des œuvres bien à eux. En effet, puisque personne ne semblait savoir qui était B. TRAVEN, il était de fait aisé d’usurper son identité.

 

Le présent livre est fait de très nombreux témoignages, mais aussi de longs extraits de ses textes, sans oublier les détails sur les enquêtes menées par les médias. Ce bouquin est dense et sur près de 500 pages il peut parfois être difficile d’accès, mais il est une mine d’or pour tenter de mieux éclaircir ce mystère opaque qu’est la vie et l’œuvre de B. TRAVEN. Sorti en 2018 chez Libertalia.

 

« Je ne suis rien d’autre qu’un produit de l’époque dont le vœu le plus cher est de se fondre dans la grande universalité, dans un complet anonymat, afin de vous hurler ses paroles (…). Je n’ai pas même la moindre ambition littéraire (…). Je ne suis pas un « écrivain », non, je hurle. Je ne veux rien être d’autre que : parole ! Et je veux la crier dans toute la mesure de mes facultés intellectuelles et matérielles ».

https://www.editionslibertalia.com/

(Warren Bismuth)

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