Survol des lieux de l’action : une île
nommée Somerland, une falaise surplombée d’un château en ruine, elle aussi
tombe en ruine. Aussi une poignée de prisonniers est désignée pour restaurer
cette falaise. Quatre comparses s’entendant plus ou moins bien (disons
moins) : Ousmane, Lestor (tous deux se détestent), Malek et le narrateur,
tous entre 17 et 18 ans, condamnés pour des forfaits dont nous ne saurons pas
grand-chose. Un gardien violent et furieux veille sur eux à coups de crosses,
de pieds dans le bide, d’intimidations et d’humiliations quasi quotidiennes.
C’est Somer, une saloperie humaine dont Malek est l’amant soumis. Lestor est,
côté prisonnier, une belle ordure aussi, jolie concurrence.
Dans ce lieu de cauchemar, pas mal de
prisonniers ont déjà été jetés à la flotte du haut de la falaise sur ordre de
Somer. Aussi vaut-il mieux se tenir à carreau. Le boulot pour les détenus est
monotone et épuisant : charrier des pierres à l’aide de wagonnets sur de
vieux rails, puis rénover la falaise, corps suspendus au dessus du vide, juste
retenus par une nacelle plus ou moins branlante munie de chaînes rouillées.
Vision d’angoisse. Pour le repos, ce n’est pas gagné non plus : chambres
sans portes, sans intimité. Et brimades du gardien.
Somer est obsédé par la propreté, bien que
ses « sujets » bossent dans la crasse, la poussière, la boue. Ils
doivent être rigoureux en présentation. Somer est clairement un foutraque
hérité des nazis qui exerce une extrême violence psychologique pour
l’obéissance soumise et aveugle de ses prisonniers. Pour ses derniers se dresse
comme un objectif ultime à atteindre : se débarrasser de Somer, le faire
disparaître de la surface de la terre par tous les
moyens disponibles. Oui, mais une rencontre décisive survient pour le
narrateur : elle s’appelle Yliane, dite la sauvageonne. Elle dit le
connaître, mais qu’en est-il ? Puis il y a un lieu à explorer plus en
profondeur et détails : un souterrain. Peut-être que la liberté est au
fond de celui-ci. Encore faut-il parvenir à le visiter, loin des yeux pleins de
haine de Somer…
La plume de Raymond PENBLANC est sans doute
l’une des plus belles de la littérature française contemporaine : à la
fois dense, fluide, poétique, violente, tranchante, sombre, on l’imagine
déclamée, scandée d’une voix éraillée mais puissante. Elle envoûte la relation
entre humain et environnement immédiat, de magnifiques phrases, de splendides
images (pas toujours très guillerettes par ailleurs) se dressent comme un mât
sur cette mer encerclant les prisonniers : « En l’absence de Somer on improvise des concours de lancers de cailloux.
Ces enfantillages le font sourire. Non seulement il nous faudra les remplacer,
mais il en restera toujours assez pour épuiser les générations futures. On sait
qu’on n’a rien à espérer de Somer. Comme on sait qu’on a quantité de frères et
sœurs encore à naître dans des milliers de ventres encore vierges. On les
espère plus grands et plus forts que nous, déterminés, farouches, résistant à
tout ».
D’autres peintures furtives donnent du poids
au texte : « Les poignées de
mains des filles sont déconcertantes. Ce ne sont d’ailleurs pas des poignées,
ce mot est impropre. Elles se contentent de nous céder trois doigts, de les
glisser entre les nôtres comme une vieille clé qu’elles abandonneraient sans
qu’on sache quoi en faire. Nos mains se quittent à regret ».
Du passé, nous n’apprendrons pas
grand-chose, l’auteur fait en partie l’impasse sur le parcours des
protagonistes, même il s’étend plus volontiers sur les souvenirs d’enfance du
narrateur, notamment le grand-père obsédant. Mais le propre père du
narrateur aurait-il vécu sur l’île ? Si oui, en quelle qualité ? Car le
passé de ce narrateur va reparaître, par bribes, avec néanmoins certaines
petites touches plus précises. Le voile se lève en partie sur la raison de
l’emprisonnement du narrateur : il a voulu tuer une femme, mais là n’est pas le
thème essentiel, juste une « anecdote ». Le récit se déroule en
majorité au présent.
Et puis il y a ce fameux souterrain, un sujet
déjà présent près de 30 ans plus tôt dans le premier roman de Raymond PENBLANC
« L’âge de pierre ». Serait-il possible d’explorer ce monde enterré,
peut-être même d’y trouver une salutaire porte de sortie vers la liberté ?
Roman coup de poing, atmosphère singulière, personnages brumeux, paysages grandioses mais inquiétants, scénario tendu, une totale réussite pour une lecture pleine d’angoisse et de finesse. Sorti en 2019 aux superbes éditions Lunatique dont je reparlerai très prochainement.
https://www.editions-lunatique.com/
(Warren
Bismuth)
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