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mercredi 31 août 2022

Doug PEACOCK « Marcher vers l’horizon »

 


Doug PEACOCK est une figure hors norme qui, après une expérience traumatisante à la guerre du Vietnam, est parti explorer les grands espaces – Etats-uniens surtout – méconnus de l’humain. Proche ami de Edward ABBEY, il fut son compagnon de randonnées longues et éprouvantes. Dans ce livre à multi facettes, il se dévoile sans fard.

Infirmier au Vietnam durant la guerre tristement célèbre, engagé volontaire dans les Bérets verts fin 1966 pour un an et demi (il restera écorché vif et hanté par cette période), il décide à son retour de se consacrer à la nature sauvage. En 1969, un an après son retour de l’enfer, il rencontre Edward ABBEY, militant éco-saboteur anarchiste lui aussi, de quinze ans son aîné, un ABBEY pour qui « Chacun de nous doit donner un sens à sa vie ».

PEACOCK va voir mourir ABBEY, il va même l’aider en ce sens, il fera partie de l’équipe de très proches qui l’enterreront, illégalement, en plein désert. Il pousse la pudeur jusqu’à ne pas dévoiler le lieu exact de l’inhumation, un vœu de son ami. ABBEY est en quelque sorte le héros malheureux de ce récit de vie, par ailleurs riche en thèmes et en réflexions. ABBEY a marqué PEACOCK à tout jamais, aussi ce dernier lui rend un hommage appuyé, en esquissant une biographie militante de l’écrivain révolutionnaire.

L’intelligence de PEACKOCK l’amène à ne pas tourner en rond, il glisse d’habiles et nombreux éléments autobiographiques. En outre, il connaît parfaitement la Nature, alors autant nous en faire profiter : longues tirades sur la faune, la flore, les espèces d’oiseaux qu’il observe, seul ou avec Edward, lors de ses longs périples, le voyage vire à l’encyclopédie, nécessaire pour comprendre le comportement humain. Comme ABBEY, PEACOCK se sent anarchiste, mais pas de cette image appartenant à l’imaginaire collectif. Lui, il est anar par son individualisme, son isolement, sa volonté de solitude, par son refus du progrès à tout prix, par son autonomie, par sa fusion avec la nature sauvage, à laquelle il s’identifie en la respectant au-delà du possible.

L’Histoire des Etats-Unis est abordée, notamment par le biais d’ancestrales tribus « indiennes », car PEACOCK est passionné par le mode de vie des Autochtones, il en dresse ici un portrait tendre, documenté. Et puis ce roman d’ABBEY, le premier, qu’il voit d’un mauvais œil, ce « Gang de la clé à molette », où le héros, Hayduke, est le double un poil maladroit et naïf d’un certain PEACOCK Doug jeune. Par ce livre, il découvre des traits de sa personnalité qu’il ignorait, même s’il sait pertinemment que ABBEY l’a volontairement forci, ce trait. Hayduke représente d’ailleurs pour PEACOCK le parfait crétin.

Miné par la vie, désillusionné, PEACOCK entreprend de longues marches pour combattre cet « état de stress post-traumatique officiellement reconnu, syndrome du vétéran, syndrome de déficit d’attention, syndrome de la Tourette marginal, tendance à la dépression, trouble de la personnalité borderline, plus un lourd passé d’alcoolique. Les types dans mon genre ne deviennent pas des maîtres zen ». Pour s’en persuader, il se rend au Népal. Plusieurs chapitres disséminés ici et là en font foi.

ABBEY, malade, et PEACOCK, le camarade à l’oreille attentive mais pas toujours en harmonie, dissertent sur le suicide. Bref moment intense : « Songer au suicide n’est pas la même chose que s’apprêter à le commettre. Ed avait les idées claires sur la question : il approuvait le suicide, même s’il déplorait les dommages collatéraux infligés au survivants ». C’est lorsqu’il se sent au plus mal que PEACOCK convoque la mémoire de ABBEY dans son esprit, c’est ABBEY qui, par sa force colossale, le fait avancer.

Descriptions des animaux (PEACOCK est un spécialiste hors compétition des grizzlys, voir son œuvre « Mes années grizzly »), des paysages à couper le souffle dans tous les sens du terme, de la flore, détails minéralogiques, point archéologiques (car PEACOCK, en athlète complet, est aussi archéologue à ses heures perdues). Ce bouquin est d’une variété et d’une force redoutables. Retour aux atrocités de la guerre, celles qui ont construit un PEACOCK à la fois combatif et fébrile, radical et sombre, qui ne parvient pas toujours à assumer sa vie de famille (dans ce livre, il revient sur son divorce). C’est un homme cabossé qui se présente devant les paysages majestueux de l’Utah, de l’Arizona, les canyons prodigieux, la terre non souillée par la présence humaine. Mieux que quiconque, il sait décrire ces paysages, une autre immense qualité de ce récit. Nous nous surprenons à chercher sur la toile les photos des montagnes, des canyons dont il nous entretient. Arrêt aux Roches rouges de l’Utah (alors qu’il est recherché par la police), à l’endroit même où ABBEY a rédigé « Désert solitaire ».

Il est évident que, pour la partie biographique de ABBEY, PEACOCK a voulu affiner particulièrement les derniers jours de son pote. Il les évoque avec tendresse et émotion, lui qui l’a suivi jusqu’à son dernier souffle, avant de l’enterrer (avec la dernière lettre qu’il lui a adressé). PEACOCK réalise l’amitié débordante et inestimable qu’il avait pour ABBEY une fois ce dernier mort. Dur avec lui-même, PEACOCK se veut lucide, sans violons ni guimauve. Il ne passe pas sous silence la maladie de son cher Ed, qui se savait condamné à court terme, et qui est allé jusqu’au bout de ses forces, dans un combat inégal et ô combien acharné, avant de s’éteindre au milieu du désert en 1989.

« Le gang de la clé à molette » de ABBEY (1975) fut un tournant dans la littérature engagée, se vendant à des dizaines de milliers d’exemplaires et influençant grandement la pensée écologiste (toujours vivante et active aujourd’hui), à la base de la création de l’association Earth First !

Ce texte époustouflant, vrai, est teinté de spiritualité, notamment lorsque PEACOCK découvre les pétroglyphes laissés par de lointains Autochtones, doté d’une puissante introspective et mâtiné de philosophie de vie centrée sur l’essentiel, totalement débarrassée du superflu. L’humilité tient une place prépondérante dans ce texte : « On est ici au cœur des terres sauvages et de la nature, on y est de tout son être. On n’a pas d’autre choix, en ce royaume, que de se fondre dans le flux ancestral de la vie. Ce n’est pas le genre d’endroit où l’on tient à loisir le journal de ses aventures et de son retour aux sources ».

En fin d’ouvrage, PEACOCK entreprend une longue marche en guise d’hommage, une randonnée que ABBEY n’a jadis jamais pu terminer. Il se remémore une fois de plus leur amitié indéfectible, ces deux rebelles évoluant presque main dans la main, ABBEY divorcé trois fois et grognon, ronchon, parvenu au bout du voyage. PEACOCK tourne les pages des carnets d’un ABBEY en fin de vie. Séquence émotion. Car son ami se dévoile, évoque la souffrance physique et la mort prochaine, plusieurs années avant qu’elle le terrasse.

Parallèlement, PEACOCK entreprend la lecture du dernier roman écrit par son vieil ami : « Le retour du gang », dans lequel réapparaît Hayduke, son double détesté. Il n’en confie pas un mot, comme pour pudiquement faire comprendre qu’il n’adhère pas à ce personnage.

Publié originellement chez Gallmeister en 2008 dans la somptueuse et malheureusement défunte collection « Nature writing » (à coup sûr l’une des plus belles et savoureuses collections jamais parues en France), ce récit s’intitulait « Une guerre dans la tête », titre peut-être pas si judicieux, vu que la guerre n’est pas si présente en ses pages, n’étant là que pour expliquer la suite, les troubles de la personnalité notamment. Cette réédition, en poche cette fois-ci dans la collection Totem, fraîchement sortie des presses, se nomme plus justement « Marcher vers l’horizon ». Inspiration directe à aller chercher du côté des carnets d’un certain Edward ABBEY qui écrivait : « TRISTE… CONDAMNÉ. Consumé dans l’autoflagellation. Amertume. Dégoût face au monde littéraire, politique, artistique. Ça me donne envie de marcher jusqu’à l’horizon, de trouver un canyon confortable, de m’allonger, de me recroqueviller, de disparaître… ».

À 80 ans, Doug PEACOCK continue à célébrer le souvenir de son vieux pote, son frangin. Deux personnages incontournables du nature writing Etats-Unien, deux esprits libres de cette nature. Ce témoignage possède une force quasi surhumaine, fait partie de ces récits de vie puissants et inoubliables, il est le porte-parole de deux vies de combats, parallèles et complémentaires. Et il nous fait regretter amèrement une fois de plus la disparition de cette collection incontournable de chez Gallmeister. Il est traduit par Camille FORT-CANTONI et se révèle un chef d’œuvre du genre. À découvrir entre deux livres de Edward ABBEY par exemple, par souci de complémentarité, il est à coup sûr l’une des rééditions fleuve de 2022.

https://gallmeister.fr/

 (Warren Bismuth)

mercredi 6 juillet 2022

Madeleine RIFFAUD : Deux ouvrages à découvrir

 


La vie de Madeleine RIFFAUD fut une suite d’aventures rocambolesques en version politisée. Engagée très jeune dans la Résistance du côté de Grenoble, elle échappe de peu à la déportation (mais pas aux tortures). Après la guerre, elle couvre en partie la guerre d’Indochine puis celle d’Algérie alors que cette dernière prend fin. Madeleine couvre plus tard la guerre du Viêt Nam sur place, est proche du parti communiste, ou d’hommes comme par exemple Paul ELUARD et plus tard HÔ CHI MINH.

Si Madeleine RIFFAUD a beaucoup publié jadis, entre récits de vie, reportages, chroniques, poèmes, etc., elle est plus silencieuse aujourd’hui. Mais son parcours intéresse, questionne, fascine. Aussi, depuis quelques années, des éditeurs s’intéressent à elle, et plusieurs ouvrages paraissent ou sont réédités. Madeleine RIFFAUD a vécu une vie d’engagement unique et trépidante qui ne devait pas rester sous silence. En 2001 paraît un recueil de poèmes chez Tirésias. 20 ans plus tard les éditions belges Dupuis sortent une bande dessinée fort ambitieuse : retracer sous forme de triptyque la vie de Madeleine RIFFAUD. En août 2021 sort le premier volume :

BERTAIL / MORVAN / RIFFAUD « Madeleine, résistante – Volume 1 : La rose dégoupillée »

Le premier tome de cette BD d’envergure vaut le coup d’œil pour plusieurs raisons : il revient sur les premières années de la combattante Madeleine RIFFAUD, jusque 1942, au moment où elle s’engage dans la Résistance du côté de Grenoble. Fille de la Somme, ses terres natales sont marquées par la guerre, la première, des corps continuent de l’alimenter. Jeune fille déjà passionnée, elle suit sa famille en vacances (grâce au Front Populaire en 1936) dans un village de Corrèze… Oradour-Sur-Glane ! Ils rendent visite à des amis dont la machine à coudre deviendra tristement célèbre : c’est en effet celle qui est toujours visible sur place, dans les ruines d’Oradour, suite au massacre perpétré en juin 1944 par la division nazie Das Reich. Le hasard est parfois troublant…

Grâce aux dessins réalistes de couleur bleue (dans la plupart des ouvrages consacrés aujourd’hui à Madeleine RIFFAUD, le bleu est dominant, comme s’il représentait une « marque de fabrique »), le récit est fluide, agréable. Les premières amours de Madeleine sont mises en scène, mais sans guimauve, ou du moins pas longtemps, son quotidien au cœur de la seconde guerre mondiale prend rapidement le dessus : elle rêve de s’engager dans la Résistance. Parallèlement surgissent les premiers traumatismes, notamment ce viol à répétition en pleine guerre.

 


La tuberculose est identifiée chez Madeleine, elle va passer un peu plus de deux mois merveilleux au sanatorium de Saint Hilaire du Touvet, tout près de Grenoble. Elle en revient plus rageuse que jamais, décidée à combattre l’ennemi nazi.

Ce premier volume est tout ce qu’il y a d’intéressant, nous permettant de suivre l’évolution de la jeune Madeleine, sa politisation, sa volonté farouche de lutter contre l’occupant. Parallèlement nous découvrons une jeune femme amoureuse, féministe, sensible et malchanceuse. Deux autres volets sont prévus, ils sont attendus de pied ferme, d’autant que le présent tome se clôt en 1942, Madeleine n’a alors que 18 ans et tant d’aventures à connaître, elle prend le pseudonyme de Rainer, en hommage au poète Rainer Maria RILKE…

https://www.dupuis.com/

Madeleine RIFFAUD « La folie du jasmin »


Cette Madeleine engagée, la voici, par le biais de cette sélection de poèmes divers écrits entre 1947 et 1990, soit presque une vie d’écriture. Ce qui frappe c’est la prépondérance de la guerre, des guerres plutôt. Lorsque l’une se termine, une autre se présente. Les trois premiers poèmes sont un hommage appuyé à de fortes figures Vietnamiennes, puis vient l’Algérie, celle en sang, en pleine guerre civile, des figures là aussi, des situations dramatiques, inextricables, ces mots qui claquent au vent et au soleil :

« Mouloud a cueilli des piquants

Au figuier qui lui sert d’abri.

Un Algérien vieux de quatre ans

Sait qu’il doit défendre sa vie.

 

Mouloud a orné sa maison

D’un diamant de verre cassé

- Si c’est plus beau chez le colon

Moi j’ai l’étoile, au ciel brisé.

 

Mouloud autour de sa maison

A dressé, en rempart, des pierres,

Bien plus solide est la prison

Où ils ont enfermé son père ».

De la mélancolie, peut-être une dose de nostalgie, des images qui renvoient à des atrocités, mais aussi à de fines gouttes de bonheur. Au détour d’une phrase, l’indicible, la torture, à peine évoquée mais d’une puissance remarquable :

« La première fois qu’il vit

De près

Une baignoire

Fut le dernier jour de sa vie ».

Ce recueil paru en 2001 aux éditions Tirésias est un petit bijou de poésie engagée, contestataire, pleine du cri de révolte d’une femme rare. Aujourd’hui, en 2022, Madeleine RIFFAUD vit toujours, à près de 100 ans elle n’en est que plus précieuse pour témoigner d’une vie exceptionnelle, celle de tous les combats. Son récit de vie « Les linges de la nuit » eut un évident succès. Il se pourrait fort que je vous le présente dans une prochaine chronique.

http://editionstiresias.com/

 (Warren Bismuth)

dimanche 6 février 2022

Éric VUILLARD « Une sortie honorable »

 


Pour son nouveau récit historique, Éric VUILLARD s’attaque à l’Indochine française et décide d’entamer son récit par l’année 1928, lorsque la colonie subit un effondrement du prix de certaines matières premières, dont celui du caoutchouc, propriété de la toute puissante maison Michelin qui par ailleurs userait de mauvais traitements sur son personnel autochtone et doit affronter une « épidémie de suicides » au sein de ses salariés.

Comme à son habitude depuis « Conquistadors » de 2009 mais surtout à partir de 2012 avec « La bataille d’Occident », Éric VUILLARD déroule l’Histoire en scrutant des photographies, regroupant des documents judicieux propres à secouer son lectorat, passant tout au peigne fin. Avec son style caractéristique fait de cynisme, de précision affolante de la scène et d’humour caustique, VUILLARD semble manier une caméra munie d’un microscope sur le terrain, projeté vers la période qu’il décrit.

Comme toujours aussi, il examine, décortique les hommes puissants qu’il présente, les observe jusqu’au petit recoin d’un bouton de manchette. Puis il dresse leur pedigree par une sorte de biographie brève de quelques pages dans laquelle les principaux faits d’armes du gus sont révélés. Il est comme ça, VUILLARD, il s’invite sur l’épaule d’un type qu’il ne connaît pas et le passe au rayon X par une baguette invisible.

Ici ces nombreux puissants, ce sont les acteurs de tête de la fin de la colonisation en indochine. Ils tapent sur les pauvres êtres locaux, leur pondent des lois ahurissantes et font jaillir leurs muscles. VUILLARD procède à un véritable exercice de style littéraire. Car excusez, mais du style il en a et même en déborde. On ne devrait pas mais on rit à foison grâce aux percutantes descriptions, comparaisons, et échecs de l’Histoire. L’humour est corrosif et garanti sans trucage. L’auteur met en scène une brochette d’hommes sans scrupules, et en filigrane dénonce ce qu’il évoque dans un parfait numéro d’équilibriste.

Il se gausse, méchamment mais jamais gratuitement, des non-sens de déclamations politiques cherchant à marquer l’Histoire par une rhétorique coup de poing, comme cette phrase malheureuse d’Edmond MICHELET : « Toute politique actuelle de capitulation en Indochine s’apparenterait à celle de Vichy ». On applaudit bien fort. VUILLARD en profite pour se moquer de la IVe République française, qui évolue en vase clos dans un vertigineux jeu de chaises musicales. Il glane des scènes, les habille, les anime dans un décor savamment peint où chaque mot a son importance. Contrairement à l’armée française en Indochine, il ne s’enlise pas.

Il est aussi question des Etats-Unis et de leur rôle dans une sorte de répétition générale de la guerre du Vietnam. C’est peut-être le défaut de ce récit : il navigue un peu trop, entre 1928, la 2e guerre mondiale, la désastreuse bataille de Cao Bang en 1950, l’arrivée sur l’échiquier politique des Etats-Unis, le naufrage incessant de cette colonisation, les biographies des protagonistes, etc., il est possible de se perdre non dans ce qui est un labyrinthe mais qui par excès de zèle remue trop de détails. Il en reste un document exceptionnel, dans un format ténu et caractéristique de l’auteur, évoluant entre roman historique, récit ou encore scénario de film ou de documentaire. Ce n’est certes pas le meilleur VUILLARD (nous pourrons lui préférer le Goncourt « L’ordre du jour », « Congo » ou « Tristesse de la terre »), la recette commence peut-être à s’éroder, il n’empêche, c’est un récit remarquable qui nous pousse à aller rechercher plus en détail ce que VUILLARD tient à la surface. Il vient de sortir et ne doit pas être boudé.

 (Warren Bismuth)

samedi 21 avril 2018

Daniel LANG « Incident sur la colline 192 : victimes de guerre »


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1966, en pleine guerre du Vietnam, cinq soldats américains sont chargés d'une mission de patrouille. Pour se donner de l'allant, contribuer à la bonhomie de l'expédition, il faut faire « boum-boum », entendez par là se trouver une nana à emmener pour pouvoir passer du bon temps. Bien entendu on ira l'enlever, on la maltraitera, on la violera, ça fera du bien à l'équipe. Sven ERIKSSON est le seul des cinq soldats à refuser ce traitement barbare, tiraillé par sa conscience face à son impuissance devant l'horreur de la situation.

Daniel LANG est journaliste au New Yorker et nous rapporte ce crime de guerre car l'ex soldat ERIKSSON choisit de lui livrer l'affaire et les raisons qui l'ont poussées à faire poursuivre ses ex-camarades de régiment.

Elle s'appelait Phan Thi Mao et était manifestement malade et affaiblie au moment de l'enlèvement. Après avoir été contrainte de porter le paquetage de l'un des soldats, elle fut installée dans une cahute et violée par les quatre hommes. Le lendemain, comme son état de santé ne s'arrangeait pas, les quatre soldats se résolurent à la tuer plus rapidement que prévu. S'ensuit une scène complètement absurde, sous les yeux de la jeune condamnée (qui avait entre 18 et 20 ans d'après les médecins), pour savoir qui va la tuer. Bousculée et attirée dans un buisson, elle fut poignardée à plusieurs reprises, reçut un tir à bout portant lui arrachant ainsi la moitié du crâne avant d'être abandonnée là où elle a été assassinée.

C'est un récit de guerre extrêmement classique, quand l'oppresseur soumet sexuellement les femmes du clan adverse et se justifie par les exactions commises par le camp d'en face. Les soldats sont certains d'être dans leur bon droit, accomplissant leur mission, comme l'État Major le leur avait commandé. Il y a incompréhension de leur part quant à la gravité de leurs actes. La hiérarchie a même tenté d'étouffer l'affaire, seule la pugnacité d'ERIKSSON a permis aux coupables d'être punis. Bien faibles châtiments au regard du crime commis quand on apprend que les peines ont été à chaque fois raccourcies et certains hommes, libérés.

Sous forme de témoignage, nous sommes face à un documentaire glacial mais qui ne laisse pas indifférent. Ce récit court de 128 pages a été publié en janvier 2018 par Allia et offre la rédemption à l'ex soldat ERIKSSON qui ne trouvait pas le repos d'avoir échoué à sauver la jeune Mao.

La scène qui s'est jouée au Vietnam s'est passée, se passe et se passera car la domination de ceux qui font la guerre passe par l'asservissement sexuel des femmes. Il y a la conquête des territoires et la soumission sexuelle, dyade infernale inhérente à tout conflit. Cela ne peut que résonner en nous, ces heures sombres, toujours d'actualité.


 (Emilia Sancti)