Cette rentrée littéraire 2018 s’étire dans le temps… Agnès
DESARTHE revient une nouvelle fois sur le devant de la scène, encore aux
éditions de l’Olivier avec son nouveau roman « La chance de leur
vie ».
DESARTHE dresse le portrait sans concession d’une famille
parisienne qui choisit de s’expatrier aux Etats-Unis, sans le savoir, à la
veille des attentats du 13 novembre 2015.
Le tableau est tellement simple, qu’au premier abord, tout
semble banal (tristement banal ?) : un couple, Sylvie et Hector, ce
dernier est un enseignant-chercheur à l’Université, manifestement sans grand
génie, qui, face à « la chance de sa vie », emmène tout son foyer
traverser l’océan pour atterrir à Earl University en Caroline du Nord. Ils
embarquent avec leur fils unique, Lester (aka Absalom Absalom, figure biblique
fils de David et aussi titre du roman de FAULKNER publié en 1936), 14 ans et
manifestement occupé par autre chose que par son adolescence.
Le personnage de Sylvie est assez complexe et ne se dévoile
qu’au fur et à mesure du récit : femme effacée au physique particulier,
voire ingrat tant il semble être à l’opposé des diktats modernes, elle
entretient ce côté terrien et primal qui lui valent de faire parfois tourner
des têtes (je vous renvoie à la scène surréaliste avec son beau-père). La
soixantaine bien tapée, elle a été mère sur le tard après avoir perdu un
nouveau-né, bien plus jeune (mais l’âge de sa première grossesse n’est pas
précisé). On pressent donc cette complexité, à plusieurs niveaux qui
s’imbriquent les uns dans les autres.
Sylvie est une femme effacée, non par soumission ou par
contrainte mais parce que c’est son caractère : elle n’est pas maîtresse
de son foyer comme ça pourrait être entendu, les choses lui glissent dessus, elle
subit, on a l’impression que tout lui échappe. Elle rationalise tout, jusqu’à
ce qui pourrait être la mort de son couple. Cette petite bonne femme (je ne
vois pas comment la qualifier autrement) rationalise et intellectualise tout ce
qui se passe dans sa vie. Son arrivée dans une nouvelle communauté, son
intégration nécessaire, ses nouveaux loisirs (la poterie), ses rapports avec
les collègues de son mari (majoritairement féminins), ce qu’elle doit dire, ce
qu’elle doit faire. Et c’est justement ce qui lui plaît, à Hector ! Pas
très brillant, il peut compter sur le soutien inconditionnel de sa femme pour
apporter la patine nécessaire à la valorisation de tous ses faits et gestes.
Leur relation de couple se veut moderne : il y a autant de confiance que de
coups de cœur épars sans que cela ne vienne remettre quoi que ce soit en
question (je vous renvoie aux scènes entre Sylvie et son incroyable
baby-sitter, et le coup d’œil de Lester en passant). Hector jouit, à son
arrivée sur le continent américain, d’un coup de projecteur bienvenu qui lui
permet d’enchaîner les conquêtes (pendant que Sylvie façonne des navets, des
carottes en poterie, et même les vieilles chaussures de son mari, CQFD).
Et Lester ? Malgré son joli prénom anglais peu commun, cet
ado préfère se faire appeler Absalom Absalom, fantaisie à laquelle ses parents
finissent par se prêter sans trop se poser de questions, juste Sylvie qui tient
à se faire appeler maman plutôt que par son prénom. Très fusionnelle avec son
fils, elle s’inquiète quand même depuis qu’il est tout petit de ses intérêts
spécifiques ou de ses comportements. Enfant qualifié de très intelligent, la
surveillance de ses parents se relâche quand ils constatent que ce dernier
arrive à s’intégrer dans son nouvel environnement. Fort d’un groupe de copains
hétéroclite, priant pour le salut de l’âme de ses parents (je vous ai dit qu’il
était gentiment chelou le môme), il s’évade faire on ne sait quoi en forêt.
Tellement on ne sait quoi qu’il sera accusé d’avoir joué à touche pipi avec ses
copines alors qu’il ne faisait que prêcher la bonne parole.
Le livre est drôle, certaines scènes surréalistes et le
caractère de Sylvie y est pour beaucoup. Ses rapports avec les autres expats
ou les locaux, sont truculents (Mister Black et ses contacts farfelus). Le
moment où elle pressent l’infidélité de son mari est à crever de rire puisque
sa panne de machine à laver est provoquée par l’accumulation de préservatifs
usagés dans la pompe à eau, qu’elle regarde nager au fond de sa bassine, pas
vraiment émue.
L’ouvrage est vraiment centré sur Sylvie, ce qu’elle pense, ce
qu’elle ressent, ce qu’elle vit. Son parcours, finalement pas si transparent ni
rectiligne, est émaillé par la douleur que l’on pressent être une véritable
première épreuve pour son couple, qui est la perte de l’enfant, quelques heures
après sa naissance (une petite fille). Ce fait est repris par Hector qui ne
peut que constater que l’humeur de Sylvie n’a plus jamais été la même après ce
dramatique événement (et on ne va pas la blâmer).
En toile de fond, les attentats du 13 novembre 2015 qui, eux,
vont profondément affecter Lester, touché de plein fouet en apprenant que l’un
de ses contacts a été mutilé. Cette violente révélation, faite de manière
violente elle aussi, par les réseaux sociaux, vont forger son esprit et
entraîner le rejet de tous ces médias de communication modernes tels que nous
les connaissons et qui sont d’habitude si plébiscités par les nouvelles
générations (et surtout indispensables). On note aussi les commentaires des autochtones
sur les événements subits par l’hexagone et l’arrivée pressentie, voire
attendue de Trump à la présidence des Etats-Unis.
Ce roman n’est pas un pavé, à peine plus de 300 pages et
pourtant il est dense, très dense, il y aurait beaucoup plus à dire et à
analyser que ce que je viens de faire fort modestement.
Auteure découverte récemment, toujours aux éditions de
l’Olivier, avec « Une partie de chasse », chroniqué juste ici
DESARTHE est maîtresse dans la description des caractères. Les
personnages ne sont pas forcément attachants mais ils sont minutieusement
décrits, c’est du travail d’orfèvre.
(Emilia Sancti)