« L’essai », c’est le nom de
cette petite communauté libertaire fondée à Aiglemont dans les Ardennes en
1903. Le créateur de cet espace de vie n’est autre que Jean-Charles Fortuné
HENRY, frère d’Émile HENRY, ce dernier « célèbre » pour certains
fameux attentats à Paris, notamment la bombe dans le café Le Terminus en 1894
(il sera guillotiné la même année). Le père, Fortuné HENRY, était aussi
militant libertaire et avait participé à la Commune de Paris de 1871.
Jean-Charles HENRY a donc en quelque sorte la révolte dans les fibres.
Cette BD de 2015 chez Dargaud reprend le
fil de la brève existence de « L’essai », du choix de l’emplacement
en 1903 à son abandon en 1909. Entre ces deux dates, construction des
bâtiments, arrivée des premiers habitants, premières visites de personnes
intéressées pour tenter la même aventure en d’autres endroits et venues
s’informer, mise en place d’un jardin potager, les premières récoltes avec
cette volonté de vivre au plus près de l’autosuffisance. La réaction des
autochtones est assez signifiante : tout d’abord rétifs, ils se
rapprochent de plus en plus de ce lieu un peu étonnant, original, s’y
intéressent, et vont même jusqu’à donner des petits bouts d’un peu tout afin
d’aider la communauté.
L’hiver ardennais est rigoureux et fait
souffrir la colonie. Les premiers enfants sont toutefois accueillis, ils
s’épanouissent de manière spectaculaire. Le hameau est clairement politique,
avec ses slogans cloués sur les façades : « Le plus de bien-être au prix de la moindre souffrance possible »
et autres « Nul ne peut être heureux
tant qu’il y a un seul malheureux ». L’autogestion bat son plein, et
ce petit écrin de verdure semble le paradis sur terre.
L’expérience est poussée encore plus loin.
Malgré le manque d’argent, la communauté investit dans une imprimerie afin de
tirer des brochures puis un journal hebdomadaire, Le Cubilot, qui paraît en
1906. C’est une époque de forte grogne ouvrière en France avec de nombreuses
grèves organisées par un mouvement social puissant et des syndicats acharnés.
Le Cubilot prend part à ces combats, à sa manière, en servant de passeur
médiatique, mais aussi par le biais de la colonie qui cache des militants
recherchés. Le ton du Cubilot est offensif, violent, il sera en quelque sorte
le cercueil de la communauté.
Reste une aventure collectiviste hors du
commun que je vous laisse découvrir dans cette très jolie BD aux dessins
« old school » et aux paysages forestiers enivrants. En fin de
volume, un petit dossier avec quelques photos splendides et un rapide résumé de
ce que fut la colonie. « Tout ce que
nous avons fait ici l’a été sans qu’un ordre soit donné. Nous vivons sans dieu,
sans patrie, sans maître, libres avec la sensation de vivre ce que nous
souhaiterions avoir vécu ». C’est ainsi que commence cette BD. Elle se
terminera mal.
(Warren
Bismuth)
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