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dimanche 11 novembre 2018

Nicolas DEBON « L’essai »


« L’essai », c’est le nom de cette petite communauté libertaire fondée à Aiglemont dans les Ardennes en 1903. Le créateur de cet espace de vie n’est autre que Jean-Charles Fortuné HENRY, frère d’Émile HENRY, ce dernier « célèbre » pour certains fameux attentats à Paris, notamment la bombe dans le café Le Terminus en 1894 (il sera guillotiné la même année). Le père, Fortuné HENRY, était aussi militant libertaire et avait participé à la Commune de Paris de 1871. Jean-Charles HENRY a donc en quelque sorte la révolte dans les fibres.

Cette BD de 2015 chez Dargaud reprend le fil de la brève existence de « L’essai », du choix de l’emplacement en 1903 à son abandon en 1909. Entre ces deux dates, construction des bâtiments, arrivée des premiers habitants, premières visites de personnes intéressées pour tenter la même aventure en d’autres endroits et venues s’informer, mise en place d’un jardin potager, les premières récoltes avec cette volonté de vivre au plus près de l’autosuffisance. La réaction des autochtones est assez signifiante : tout d’abord rétifs, ils se rapprochent de plus en plus de ce lieu un peu étonnant, original, s’y intéressent, et vont même jusqu’à donner des petits bouts d’un peu tout afin d’aider la communauté.

L’hiver ardennais est rigoureux et fait souffrir la colonie. Les premiers enfants sont toutefois accueillis, ils s’épanouissent de manière spectaculaire. Le hameau est clairement politique, avec ses slogans cloués sur les façades : « Le plus de bien-être au prix de la moindre souffrance possible » et autres « Nul ne peut être heureux tant qu’il y a un seul malheureux ». L’autogestion bat son plein, et ce petit écrin de verdure semble le paradis sur terre.

L’expérience est poussée encore plus loin. Malgré le manque d’argent, la communauté investit dans une imprimerie afin de tirer des brochures puis un journal hebdomadaire, Le Cubilot, qui paraît en 1906. C’est une époque de forte grogne ouvrière en France avec de nombreuses grèves organisées par un mouvement social puissant et des syndicats acharnés. Le Cubilot prend part à ces combats, à sa manière, en servant de passeur médiatique, mais aussi par le biais de la colonie qui cache des militants recherchés. Le ton du Cubilot est offensif, violent, il sera en quelque sorte le cercueil de la communauté.

Reste une aventure collectiviste hors du commun que je vous laisse découvrir dans cette très jolie BD aux dessins « old school » et aux paysages forestiers enivrants. En fin de volume, un petit dossier avec quelques photos splendides et un rapide résumé de ce que fut la colonie. « Tout ce que nous avons fait ici l’a été sans qu’un ordre soit donné. Nous vivons sans dieu, sans patrie, sans maître, libres avec la sensation de vivre ce que nous souhaiterions avoir vécu ». C’est ainsi que commence cette BD. Elle se terminera mal.

(Warren Bismuth)

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