Clytemnestre dirige l’hôtel-bar « Balkans Express » quelque part du côté du Kosovo au tout début du XXIe siècle, alors que son mari Agamemnon est parti guerroyer en ex-Yougoslavie. Elle s’est entichée d’un amant, Egisthe, avec lequel elle projette l’assassinat d’Agamemnon lorsqu’il reviendra des champs de bataille.
Ici ce sont surtout les chants de bataille qui sont entonnés, tant la musique, le rythme, les mélodies, la danse mais aussi la signification des textes prennent une part prépondérante. Mais déjà Agamemnon rentre du combat. Mari jadis violent et noceur ainsi que fervent patriote, son retour n’est pas apprécié de Clytemnestre qui finit par concrétiser son projet avec l’aide de son amant au cours d’une fête somptueuse.
Des morts, il va y en avoir d’autres, et non des moindres, ils vont même à leur tour revenir, comme Agamemnon de la guerre, faire coucou sous forme de fantômes déterminés, au milieu d’une atmosphère électrique, tant les tensions sont extrêmes entre divers protagonistes.
« Bordel Balkans » est de ces textes à l’ambiance hybride : réécriture contemporaine de « L’Orestie » du grec ESCHYLE, elle met en scène plusieurs représentations humaines de la société : qu’elle soit imagée par des opportunistes, courtisans, menteurs, malléables, dans un climat à la fois de tragédie grecque (le texte se définit comme une « Tragédie musicale »), de problèmes sociaux actuels (corruption, censure, , etc.), de farce violente côtoyant le fantastique ou le polar et évoquant l’homosexualité, cette réécriture distille une poésie dans laquelle se mêlent des dialogues crus dans une mosaïque saisissante. En fond, l’incapacité de l’Europe face aux drames politiques des Balkans.
« Ça va être une vraie boucherie. Ils vont tuer, ils vont piller ce pays et personne n’osera s’interposer. Nos libérateurs vont nous libérer de la vie tranquille que nous avions. Grâce à eux, nous allons nous sentir étrangers dans notre propre pays ! C’est maintenant que tu vas voir comment ils vont gagner toutes les élections, acheter toutes les propriétés de l’État pour trois fois rien, remporter toutes les adjudications. Ils vont commettre des meurtres et il n’y aura personne pour les condamner. C’est la fin de tout ! ».
Cette pièce est aussi l’occasion pour l’auteur kosovar d’écrire dans les différentes langues utilisées en Albanie et au Kosovo, ce qui servira aussi de postface à la traductrice Anne-Marie BUCQUET pour nous entretenir de ces divers langages ou dialectes.
Entre drame et burlesque, NEZIRAJ, figure emblématique du théâtre balkanique, s’amuse sur la tangente, y compris dans le style d’écriture, déconcertant car tour à tour ordurier, grandiloquent ou poétique. « Un mari a été tué / Mais le demi-mari est encore vivant / Rien ne se termine jamais dans ce pays / Chaque fin est un nouveau commencement / Chaque sang versé annonce un nouveau sang ».
La préface est signée Roland SCHIMMELPFENNIG et traduite de l’allemand par Katharina STALDER, la pièce étant donc traduite avec grand talent par Anne-Marie BUCQUET qui saisit au mieux l’univers singulier de NEZIRAJ. « Bordel Balkans » fut écrite entre 2014 et 2017, elle est pétillante car partant dans tous les sens telle un feu d’artifice, où l’on passe d’un style à l’autre juste en sautant une ligne. Les personnages sont décalés voire loufoques dans des scènes brèves et dynamiques. L’ouvrage vient de sortir aux éditions L’espace d’un Instant.
Jeton NEZIRAJ traduit par Anne-Marie BUCQUET revient très bientôt chez cet éditeur avec le titre « En cinq saisons : un ennemi du peuple », écrit entre 2014 et 2019. Auteur régulièrement censuré dans nombre de pays sur notre bonne vieille terre, il n’a pas fini d’en dénoncer les injustices avec son brio et sa verve toute personnelle.
https://www.sildav.org/editions-lespace-dun-instant/presentation
(Warren Bismuth)