Ce mois-ci le choix se resserre pour notre challenge « Les classiques c’est fantastique » initié par les blogs Au milieu des livres et Mes pages versicolores. En effet, il nous a fallu choisir entre deux monstres sacrés de la littérature française : Victor HUGO et Marcel PROUST. Je me suis pour ma part tourné vers le barbu et son très long poème « L’année terrible ».
La particularité du poème « L’année terrible » est qu’il relate les événements survenus en France entre août 1870 et juillet 1971, après un prologue dédié aux révolutionnaires de 1789. Cette période de 1870 et 1871 fut « terrible » à bien des égards. Dans ce poème majoritairement en alexandrins, tour à tour HUGO se fâche, se confie, dissèque la situation politique et social du pays alors qu’il vient tout juste de rentrer en France après un exil de vingt ans.
La guerre franco-allemande tout d’abord, Sedan et la déroute de l’armée française. HUGO se fait (trop ?) grandiloquent, agressif, surchauffe par des envolées lyriques cocardières et revanchardes, dénonce et menace. Attention les références historiques ou mythologiques sont nombreuses et peuvent gêner la lecture. Ses vers sont puissants, mais empreints d’une certitude qui peut donner le tournis. HUGO se place en homme de la contestation, en porte-parole belliqueux d’une France exsangue, supplie de se référer au système des Etats-Unis, prenant sociétalement exemple sur eux (le Président LINCOLN a été assassiné cinq ans auparavant).
Puis vient la révolte du peuple de Paris affamé. Malgré ce qu’il a pu écrire précédemment dans ses alexandrins, il se fait maintenant méfiant, distant envers ceux qu’il nomme les « ignorants ». La foule se soulève, HUGO reste droit dans ses bottes, attentiste en diable. D’autant que sa vie privée est constellée de drames, notamment le décès soudain de son fils Charles en mars 1871, et enterré le jour même de la proclamation de la Commune de Paris, le 18 mars.
HUGO tente de surnager, insiste sur sa tragédie personnelle, vante les mérites de ses enfants restants, mais bien vite revient au combat par sa plume. Etonnamment, ce n’est que lorsque la Commune de Paris est renversée et que les versaillais reprennent le pouvoir que le poète semble enfin voir en ce mouvement social une grande force. Contrairement à ce qui a pu être dit et écrit ici et là, HUGO n’est pas entré en lutte dès le début de la Commune (et comme elle ne dura que deux mois, il n’est pas exagéré d’écrire qu’il l’a en partie loupée). Voici ses vers sur la société écrits en mai 1871, alors que la Commune tient encore debout, mais plus pour très longtemps :
« Au
sauvage embusqué dans la forêt du mal ;
Elle [la société, nddlr] répond de tout ce que peut faire l’homme ;
La bête fauve sort de la bête
de somme,
L’esclave sous le fouet se
révolte, et, battu,
Fuit dans l’ombre, et demande
à l’enfer : Me veux-tu ?
Etonnez-vous après, ô semeurs
de tempêtes,
Que ce souffre-douleur soit
votre trouble-fête,
Et qu’il vous donne tort à
tous sur tous les points ;
Qu’il soit hagard, fatal,
sombre, et que ses deux poings
Reviennent tout à coup, sur
notre tragédie
Secouer, l’un le meurtre, et l’autre l’incendie ! ».
Oui, HUGO use et abuse du point-virgule, cette ponctuation hybride. Mais revenons au fond de sa pensée. HUGO souffre dans ses entrailles, et peut-être minore-t-il la douleur du peuple, il ne semble en tout cas pas la prendre à sa juste valeur, jusqu’à ce que les nombreux massacres et autres exactions de l’armée versaillaise soient enfin dévoilés.
HUGO est victime d’une tentative d’assassinat à Bruxelles, suivi d’une expulsion de Belgique, il plie mais ne rompt pas. Il veut se faire prophète, mais paraît pourtant écrire si loin du peuple, si loin de l’enfer quotidien de la masse. Il ne se prive pas d’un ton empreint d’une certaine condescendance et n’évite pas les paradoxes, les contradictions de sa pensée. Tour à tour, et en quelques mois voire quelques semaines d’humeur vengeresse puis humaniste, il semble isolé sur la scène politique, s’agitant pour qu’on le lise, le comprenne, lui l’intellectuel un peu trop sûr de lui en campant sur ses acquis.
Il n’en reste pas moins que « L’année terrible » est un sacré exercice de style, un grand tour de force, près de 300 pages en alexandrins, pleine d’un langage certes élitiste mais ciselé à l’extrême, malgré quelques rimes « faciles » (je sais, c’est très aisé de déclamer ce point de vue le cul vissé sur un fauteuil quelque 150 ans après les faits). Malgré ses défauts, son ton, ce poème écrit « en direct », donc sans recul aucun, est une radiographie sensible et parfois désespérée de 1870/1871 dans ce pays de France, et malgré, je le répète, cette certitude d’une toute puissance qui autorise un certain mépris, sûre de l’écho à venir. Texte non dénué d’intérêt, même s’il se focalise de manière un peu nombriliste sur Paris.
(Warren
Bismuth)