Drame
en cinq actes, et pourtant ce n’est pas du théâtre mais bien une bande
dessinée. Souvenez-vous du film controversé (souvent pour de très mauvaises
raisons) de Henri-Georges CLOUZOT « Le corbeau », sorti en 1943, en
pleine occupation nazie, sous contrôle de la Continentale. Bien. Il est la version
fictionnelle d’une affaire réelle s’étant déroulée à Tulle, Corrèze, entre 1917
et 1922. Un corbeau y sévissait, envoyait des lettres anonymes incendiaires aux
habitants de la paisible cité, des phrases vomies, pleines de haine, de
délations, d’histoires de coucheries sordides. Tout le monde soupçonnant tout
le monde, immense psychose chez les tullistes, tension permanente,
irrationnelle. 110 lettres vont ainsi être expédiées en 5 ans, toutes plus
violentes les unes que les autres, attisant la rumeur et le mal-être
(n’oublions pas que l’affaire débute en pleine première guerre mondiale).
L’acte
1 est la présentation du film, recadré dans le contexte de l’époque. Suivent
les actes 2 à 5 : l’affaire, la vraie, les lettres, les dictées organisées
par le docteur Edmond LOCART, spécialiste graphologue (nouvelle science encore
balbutiante), suicide par noyade raté pour une présumée coupable mais réussi
pour sa mère, le dernier acte s’attardant sur le procès. Oui le procès, car
quelqu’un est fortement soupçonné. En fin de volume des documents d’un grand
intérêt : fac-similés, photos de Tulle à l’époque de l’affaire, coupures
de journaux la relatant.
Mais
attardons-nous un instant sur la forme : les vignettes sont tout
simplement somptueuses. Tantôt grises, tantôt colorées à l’ancienne, il me
semble que certaines sont exécutées à partir de photos retouchées par de la
peinture, les architectures étant presque parfaites. Devant ces décors de fond,
des personnages peints puis comme découpés et collés sur les photos, donnant un
semblant de relief. Les bulles sont « old school », tapées à la
machine, du pur « Times new roman », tantôt noir sur blanc tantôt le
contraire. Quant à la couverture elle est souple, rendant un cachet
supplémentaire de « vieille » BD.
Ces
50 pages passent à la vitesse de l’éclair tant le rythme est enlevé et le
suspense bien mis en place. Qui est le véritable corbeau ? Mise en scène
façon polar, aspect psychologique non oublié. Et bien sûr l’évident clin d’œil
au magnifique travail de CLOUZOT. La documentation est sérieuse, le travail
visuel impeccable et varié, c’est un gros coup de cœur que je vous présente
ici, ne sous-estimez pas cette BD d’une grande classe.
Ah,
il faut quand même que je vous précise qu’elle a été éditée fin 2017 chez une
toute petite maison d’édition de Haute Corrèze (peut-être l’un des plus beaux
paysages de France dans lequel il fait parfois bon vivre), Maïade, qui s’occupe
pourtant le plus souvent de documentaires régionaux (très beaux aussi), parfois
de romans mi historiques mi terroir. Allez voir ce catalogue, vraiment il vaut
le coup d’oeil. Et cette BD est une pure merveille, tel un travail familial
car, comme l’éditrice vivant en Corrèze, l’auteure parisienne a rejoint cette
terre depuis longtemps. Quant au dessinateur il est briviste pur jus pour une
réalisation locale. De plus les fêtes de Noël approchent, voici un petit cadeau
très original. Vous aidez une éditrice, vous faites plaisir à un proche :
« Quand on nous fait pas chier on se contente de joies simples ».
(Warren BISMUTH)
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