dimanche 25 novembre 2018

Francette VIGNERON & Antoine QUARESMA « L’œil de tigre »


Drame en cinq actes, et pourtant ce n’est pas du théâtre mais bien une bande dessinée. Souvenez-vous du film controversé (souvent pour de très mauvaises raisons) de Henri-Georges CLOUZOT « Le corbeau », sorti en 1943, en pleine occupation nazie, sous contrôle de la Continentale. Bien. Il est la version fictionnelle d’une affaire réelle s’étant déroulée à Tulle, Corrèze, entre 1917 et 1922. Un corbeau y sévissait, envoyait des lettres anonymes incendiaires aux habitants de la paisible cité, des phrases vomies, pleines de haine, de délations, d’histoires de coucheries sordides. Tout le monde soupçonnant tout le monde, immense psychose chez les tullistes, tension permanente, irrationnelle. 110 lettres vont ainsi être expédiées en 5 ans, toutes plus violentes les unes que les autres, attisant la rumeur et le mal-être (n’oublions pas que l’affaire débute en pleine première guerre mondiale).

L’acte 1 est la présentation du film, recadré dans le contexte de l’époque. Suivent les actes 2 à 5 : l’affaire, la vraie, les lettres, les dictées organisées par le docteur Edmond LOCART, spécialiste graphologue (nouvelle science encore balbutiante), suicide par noyade raté pour une présumée coupable mais réussi pour sa mère, le dernier acte s’attardant sur le procès. Oui le procès, car quelqu’un est fortement soupçonné. En fin de volume des documents d’un grand intérêt : fac-similés, photos de Tulle à l’époque de l’affaire, coupures de journaux la relatant.

Mais attardons-nous un instant sur la forme : les vignettes sont tout simplement somptueuses. Tantôt grises, tantôt colorées à l’ancienne, il me semble que certaines sont exécutées à partir de photos retouchées par de la peinture, les architectures étant presque parfaites. Devant ces décors de fond, des personnages peints puis comme découpés et collés sur les photos, donnant un semblant de relief. Les bulles sont « old school », tapées à la machine, du pur « Times new roman », tantôt noir sur blanc tantôt le contraire. Quant à la couverture elle est souple, rendant un cachet supplémentaire de « vieille » BD.

Ces 50 pages passent à la vitesse de l’éclair tant le rythme est enlevé et le suspense bien mis en place. Qui est le véritable corbeau ? Mise en scène façon polar, aspect psychologique non oublié. Et bien sûr l’évident clin d’œil au magnifique travail de CLOUZOT. La documentation est sérieuse, le travail visuel impeccable et varié, c’est un gros coup de cœur que je vous présente ici, ne sous-estimez pas cette BD d’une grande classe.

Ah, il faut quand même que je vous précise qu’elle a été éditée fin 2017 chez une toute petite maison d’édition de Haute Corrèze (peut-être l’un des plus beaux paysages de France dans lequel il fait parfois bon vivre), Maïade, qui s’occupe pourtant le plus souvent de documentaires régionaux (très beaux aussi), parfois de romans mi historiques mi terroir. Allez voir ce catalogue, vraiment il vaut le coup d’oeil. Et cette BD est une pure merveille, tel un travail familial car, comme l’éditrice vivant en Corrèze, l’auteure parisienne a rejoint cette terre depuis longtemps. Quant au dessinateur il est briviste pur jus pour une réalisation locale. De plus les fêtes de Noël approchent, voici un petit cadeau très original. Vous aidez une éditrice, vous faites plaisir à un proche : « Quand on nous fait pas chier on se contente de joies simples ».


(Warren BISMUTH)

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