lundi 19 novembre 2018

Patrice PERNA & Nicolas OTERO « Morts par la France – Thiaroye 1944 »


Une histoire méconnue, particulièrement sordide, opaque et injuste, une page de l’Histoire de France, avec plein de tâches dessus, une page collée par le sang. Tout commence par l’enrôlement des tirailleurs sénégalais au sein de l’armée française au tout début des hostilités de la seconde guerre mondiale en 1940 afin de combattre l’ennemi nazi. Les soldats français (comprendre les blancs) prisonniers sont transférés dans des stalags en Allemagne. Les autres (comprendre les moins blancs, les basanés quoi) sont interdits de terres allemandes (noirs, ils ne sont pas des hommes) et rejoignent des « frontstalags », des camps d’internement dans des zones françaises occupées par l’armée allemande.

C’est en 1944 que les premiers frontstalags sont libérés après des années passées dans des conditions épouvantables pour des soldats sénégalais qui vont enfin pouvoir retourner chez eux, près des leurs. Mais une dette persiste : une solde non payée par la France aux soldats sénégalais (donc français), comme un salaire non versé aux tirailleurs. Pourtant les soldats blancs ont eu droit à ces émoluments. Malgré cet impayé les soldats sénégalais regagnent leur sol natal, certains en direction d’un camp de transit à Thiaroye. Là tout bascule, c’est le drame : l’armée française tire par rafales sur les soldats noirs. Version officielle : mutinerie, légitime défense, rébellion des soldats furieux que l’argent ne leur ait pas été versé.

Cette magnifique BD parue aux Arènes BD fait renaître ce fait divers de Thiaroye, mais en menant l’enquête par le biais d’Armelle MABON, une assistante sociale devenue historienne. Elle va déployer une énergie folle pour montrer que la version officielle ne tient pas, pas plus que le nombre de morts, fluctuant au cours des années, qui finit par se stabiliser à 70.

Ils seraient en fait des centaines à avoir été massacrés ce jour-là. Oui, massacrés, car selon pas mal de témoignages se recoupant, plus question de légitime défense puisqu’il n’y aurait eu aucune mutinerie de la part de la population indigène dans le camp de transit. Crime froid, sans concession. Meurtre raciste de masse. Mieux : certaines sources accusent de GAULLE comme le véritable commanditaire du massacre. Ces tirailleurs sénégalais qui ont combattu pour la liberté de la France, qui ont survécu à la bataille sur le front, au nazisme, aux conditions indécentes dans les camps de prisonniers, se font plomber en plein vol comme de vulgaires palombes une fois revenus sur leur terre natale. Gratuitement, comme ça, sans explication, sinon des théories oiseuses dédouanant l’armée française. Enfin, gratuitement, non, mais bien plutôt pour que l’armée française n’ait pas à leur verser leur solde.

Cette BD est forte en émotions, elle déconstruit patiemment, par petits bouts, la version officielle de cette tuerie. Par des témoignages précis et des documents encore visibles, elle réfute la thèse de cette bien pratique légitime défense contre un ennemi déchaîné. Et puisque le cynisme n’en est plus à cela près, sachez que sur les rares dossiers militaires retrouvés concernant les morts « mutinés », il est tamponné à l’encre rouge sang ces quelques mots : « N’a pas droit à la mention ‘Mort pour la France’ ». Jusqu’au bout. Humiliés.


(Warren BISMUTH)

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