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dimanche 28 avril 2024

B. TRAVEN « Rosa Blanca »

 


En avril, ne désarme pas d’un fil ! C’est ainsi que Au milieu des livres et Mes pages versicolores, les deux blogs de choc pilotant le challenge mensuel « Les classiques c’est fantastique », me font indirectement et inconsciemment un précieux cadeau avec le thème : « Indignez-vous ! Les classiques révoltés ». Trois titres viendront semer les graines de la révolte côté Des Livres Rances. Première salve avec l’énigmatique B. Traven et son « Rosa Blanca ».

« Rosa Blanca » fut rédigé en 1929 alors que B. TRAVEN est installé au Mexique depuis quelques années. B. TRAVEN le brouilleur de pistes, B. TRAVEN l’homme libre, B. TRAVEN l’anarchiste individualiste effréné, très influencé par la pensée de Max STIRNER. Il est fort difficile de ne pas éprouver un sentiment de fascination envers cet auteur aussi culte que mystérieux.

Au Mexique, la Rosa Blanca est une hacienda entourée de terres qui appartiennent à la jeune et redoutable Condor Oil Company étatsunienne, qui la convoite et souhaite l’acquérir pour obtenir encore plus de production de pétrole et se développer sur le marché. La Rosa Blanca est la propriété de l’indien Hacinto Yañes, également administrateur. Pour de nombreuses raisons, qui sont entre autres la nature, la vie en communauté avec les soixante familles de ce véritable petit village et la nourriture que la terre fournit librement, Yañes refuse de vendre, quel que soit le prix. La Condor Oil Company est bien décidée à le faire plier. D’âpres tractations débutent.

« Nous avons besoin de la terre pour le pétrole, afin de pouvoir alimenter nos automobiles. Du maïs ? De la terre pour du maïs ? ». Les représentants de la Condor Oil Company ne comprennent pas le mode de vie de la communauté de la Rosa Blanca, entre simplicité et désir de fuir la servitude. Mais il est temps pour B. TRAVEN de digresser longuement et de nous présenter monsieur Collins, président de la C.O.C., sa vie construite à partir de la recherche d’un idéal matérialiste, capitaliste, où la femme tient un grand rôle… de soumission et d’obéissance. Le roman se déploie alors sur le fonctionnement du système capitaliste, des inégalités voulues, de la puissance, du pouvoir. B. TRAVEN se fait alors cynique, dénonçant l’absurdité du consumérisme et l’asservissement de la presse (il a toujours regardé la presse d’un œil particulièrement critique), le tout en des raisonnements fins et implacables, multipliant les exemples pour parfaire sa thèse.

Un scandale éclate au sein de la famille Collins. Collins doit en empêcher la divulgation qui de fait le stopperait net dans son ascension professionnelle. Il est influent chez les politiques et les grandes entreprises, il a même permis de provoquer sciemment une grève des ouvriers pour mieux les soumettre ensuite, les accusant publiquement, ainsi que les syndicats, du récent crash boursier. D’ailleurs, comme avec tout ce qui tombe sous sa houlette, Collins joue avec la Bourse. Il vient d’être établi que les terres de l’hacienda « Rosa Blanca » renferme du pétrole. Ce diable de Yañes va devoir être convaincu de gré ou de force à céder sa propriété.

B. TRAVEN enfonce le clou, se dresse contre les guerres : « Aucun roi, aucun président de la République, aucun groupe de capitalistes ne déclarera la guerre sans le justifier en proclamant qu’elle est utile au bien public, qu’elle est inévitable pour telle ou telle raison et que l’honneur national l’exige ». Fut-ce une guerre sociale. La réflexion d’un protagoniste pourrait à elle seul, certes ne pas résumer le roman, mais bien en montrer le but inavoué du côté des entreprises puissantes : « On a beau coller sur les bouteilles de étiquettes devenues toutes grises de vieillesse et portant en caractères gothiques « Scotch Whisky », ce n’est quand même pas une preuve qu’il y ait vraiment du whisky dans la bouteille. Cela peut-être tout aussi bien une solution de cyanure de potassium. Et l’on peut encore s’estimer heureux si l’on s’en aperçoit avant d’en avoir avalé une trop grande gorgée ». Car B. TRAVEN creuse son texte jusqu’à la racine, y extirpe toutes les maladies de la société capitaliste, en partie celle cherchant à s’implanter durablement au Mexique. Il ne se contente pas de dénoncer, il développe, pointe l’absurdité d’un système qu’il voit bientôt à bout de souffle, avant que le récit ne se transforme subitement en sorte de polar noir bien bâti, puis revienne sur les terres de la « Rosa Blanca » accablées par les drames.

« Rosa Blanca » est typique de B. TRAVEN : engagement sans limite tout en restant « sur le bord », en bon individualiste qui se respecte. B. TRAVEN mord intelligemment et jamais gratuitement. Qui fut-il ? Il reste de nombreuses failles dans sa biographie. Il ne cessa de se cacher, désirant garder un anonymat complet (où est d’ailleurs la preuve formelle de sa véritable identité ?). Il est fascinant parce qu’il ne donne rien de lui, alors que pourtant dit-il, tout est expliqué dans ses romans. Né en 1882 (même si là aussi les preuves manquent) il s’éteint en 1969… au Mexique, où il aura vécu une grande partie de sa vie, lui vraisemblablement sujet allemand. Les traductions de ses romans furent longtemps amputées, non respectées, bâclées, détériorées, rendant les récits difficilement lisibles. Ce n’est qu’au XXIe siècle que l’on se penche sur des retraductions, au moins sur des révisions de traductions. Celle présentée aujourd’hui est signée Charles BURGHARD à partir de l’allemand, revue et augmentée par Pascal VANDENBERGHE.

L’une des grandes nouvelles de l’année littéraire est que les magistrales éditions Libertalia viennent d’obtenir l’exclusivité des droits de l‘œuvre de B. TRAVEN (c’est déjà elles qui avaient publié en 2018 sa copieuse biographie signée Rolf RECKNAGEL « B. TRAVEN, romancier et révolutionnaire »), ce qui va permettre à son œuvre de débuter une nouvelle vie. Ce n’est que justice.

 (Warren Bismuth)



13 commentaires:

  1. Comme à chaque fois tu me fait découvrir des auteurs inconnus et tu rends leurs destins passionnants. Merci pour cette nouvelle découverte.

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    1. Des Livres Rances3 mai 2024 à 10:34

      À découvrir, d'autant que les traductions sont enfin prises au sérieux depuis le début du XXIe siècle, ouf !

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  2. Virginie Vertigo29 avril 2024 à 01:04

    Oups, désolée pour le commentaire précédent inutile... je me suis plantée dans la fenêtre de commentaires (shame).
    A chaque fois que je vous lis, je découvre des auteurs inconnus ou méconnus, des littératures différentes, c'est précieux.

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    1. Des Livres Rances29 avril 2024 à 01:58

      Merci beaucoup pour ton intérêt et ta curiosité !

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  3. J'en découvre à chaque fois avec ce challenge, je ne connaissais pas du tout !!

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    1. Des Livres Rances3 mai 2024 à 10:35

      Il faut dire qu'il a tout fait pour ne pas passer à la postérité !

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  4. Comme le dis Natiora, tes chroniques sont toujours passionnantes ! J'avais vu passer l'info de cette réédition mais ne connaissais pas plus que ça l'auteur, merci pour cet éclairage !

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    1. Des Livres Rances3 mai 2024 à 10:27

      Je fais le pari que cet auteur t'enthousiasmerait !

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  5. Encore une belle suggestion (et ravie que les éditions Libertalia fassent (re)vivre ce nom méconnu pour moi !)

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    1. Des Livres Rances11 mai 2024 à 12:33

      "Le vaisseau des morts" arrive dans quelques semaines chez Libertalia.

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  6. Auteur inconnu... Décidément.
    Ma culture s'élargit avec tes chroniques passionnantes.

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    1. Des Livres Rances11 mai 2024 à 12:34

      Un de ces auteurs quasi anonyme qui a tout donné à L'œuvre.

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