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dimanche 21 avril 2024

Joseph CONRAD « Amy Foster »

 


Alors que Des Livres Rances continue à commémorer le centenaire de la disparition de Joseph CONRAD (en 1924), une curiosité : « Amy Foster » est le seul texte de toute son œuvre comportant un patronyme féminin dans le titre. Les personnages féminins sont peu nombreux et rarement influents dans les évolutions de la plupart des nouvelles de l’auteur, comme si l’être féminin faisait tapisserie au cœur d’une œuvre prioritairement masculine virile. Cette nouvelle vient contredire cette image. Rédigée en 1901, elle fut initialement incorporée au recueil « Typhon ».

Amy Foster est la fille très imaginative d’un homme déshérité par son père, elle travaille depuis quatre ans dans une ferme. Soudain, un migrant d’Europe centrale vient échouer en Angleterre dans le village où habite Amy. Seul survivant d’un naufrage, il vagabonde autour de la ferme car traité en pestiféré par les autochtones ne voyant en lui qu’une source d’ennuis à venir. Pourtant, Amy se prend de sympathie pour cet étranger épuisé, finalement recueilli par le vieux Swaffer, un excentrique au cœur pur. Cet étranger n’a aucun repère tangible dans sa nouvelle vie, et n’est qu’un anonyme embarrassant parmi la foule rurale. D’ailleurs nous ne connaîtrons jamais son pays d’origine.

Grâce à Swaffer, Yanko (son prénom nous sera dévoilé en fin de volume, comme s’il finit fatalement par exister aux yeux des villageois) participe aux tâches quotidiennes, est même plus ou moins accepté (pas par tout le monde, en tout cas pas assimilé) par une population méfiante et cloisonnée après avoir sauvé la vie d’une jeune enfant. Pourtant les problèmes ne vont pas manquer pour cet homme qui tente de faire adopter sa présence aux ruraux.

Une fois de plus dans les nouvelles de CONRAD, « Amy Foster » est un texte fort moderne par son style, la psychologie des personnages et son thème principal : l’immigration. Si CONRAD a pu présenter des « héros » colons dans ses nouvelles, ici il évolue à rebours, faisant de son Yanko un personnage superbe dans ses errances dues au refus de la population de lui permettre d’accéder à un statut similaire à elle. CONRAD dépeint le parcours d’un migrant, qui résonne aujourd’hui étrangement en nos temps où le monde est en train de vivre conséquemment des déplacements de populations. Indéniablement, CONRAD aime Yanko et en trace un portrait touchant et habile. Il en est de même pour Amy Foster, une femme un peu plus « profonde » que les habituelles esquisses féminines de son œuvre. Le vieux Swaffer n’a d’ailleurs rien à leur envier.

Une précision qui a son importance : il y a quelques mois, je me décidai à entamer la lecture de l’intégralité des nouvelles de CONRAD, par ordre chronologique pour un total de 1500 pages, ne sachant pas du tout où mes travaux me mèneraient, envisageant même de picorer çà et là quelques titres de temps à autre si le challenge s’annonçait trop ardu. Puis je me suis vu au cœur, non pas des ténèbres, mais d’une spirale infernale, d’un piège dans lequel j’étais ravi de tomber. Aussi j’ai poursuivi ma lecture, sans mollir ou presque, effaré par ce que je découvrais : l’atmosphère, la psychologie poussée des personnages, l’ampleur et la richesse des textes, la précision de la langue (l’anglais, qui n’était pourtant pas la langue maternelle de l’auteur, né polonais en Ukraine en 1857). En commençant cette lecture abondante, j’ignorais complètement quels seraient mes choix de chroniques, si choix il y avait. Et puis les enchaînements des textes, les découvertes incessantes, les personnages charpentés, peut-être surtout une œuvre loin de se réduire à une composition maritime. Enfin, ce désir de faire partager cette grande émotion par des chroniques, toujours plus nombreuses sur Joseph CONRAD dont, hormis « Loin des yeux de l’Occident » et deux ou trois autres titres, j’étais naguère passé à côté, ne lisant pas correctement ce que l’auteur exprimait.

Cependant, je ne ferai pas un bilan exhaustif de toutes les nouvelles qui m’ont charmé, même si je tiens ici à rappeler que CONRAD s’est à une époque intéressé à la doctrine anarchiste et en a tiré des récits probants, je pense ici à « Gaspar Ruiz », « L’indicateur » et autre « Un anarchiste » qui sont à lire. J’y ai découvert un CONRAD féru de politique et de social, du côté des errants. Loin de l’imagerie collective que l’on peut se faire de l’auteur, CONRAD ne pouvait que me séduire et m’interpeller avec force. Cependant, les romans me semblent un peu moins convaincants dans cette immense œuvre, peut-être par leur longueur qui provoque une certaine complexité de laquelle il n’est pas toujours aisé de s’extirper.

(Warren Bismuth)

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