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mercredi 3 février 2021

Éric PLAMONDON « Aller aux fraises »

 


Éric PLAMONDON avait déjà frappé très fort chez Quidam avec ses romans sociaux historiques « Taqawan » et « Oyana ». Il nous revient chez le même éditeur avec un titre saugrenu et un format roman court, découpé en trois nouvelles qui pourraient bien se lire indépendamment, mais ce serait gâcher. PLAMONDON est originaire du Québec et c’est « son » Canada qu’il dépeint dans un texte fort drôle et surprenant pour un changement radical de ton comparé aux deux œuvres citées plus haut.

1986, 17 ans, la belle vie avec les copines et les copains, de fiestas en beuveries, tout en cultivant l’insouciance d’une jeunesse qui veut profiter du moment. Le Québec, ici magnifié par les paysages d’une nature grandiose et les expressions du cru. Il n’est d’ailleurs pas toujours aisé de retranscrire les propos ou scènes, puisqu’aucun glossaire n’est proposé. Qu’importe, l’humour est décapant, les situations burlesques se succèdent dans une écriture nerveuse et parfaitement posée.

Le narrateur, lycéen, fils d’un couple éclaté, passe son temps tantôt chez son père, tantôt chez sa mère depuis une dizaine d’années. Sur fond de musique hard rock ou heavy metal, entre VAN HALEN et IRON MAIDEN, il fait ses classes, grandit et mûrit. « Mais c’est une autre histoire ».

Les potes, un entourage précieux. Les parties de billard entre deux cuites, de flirts en gueules de bois, les événements défilent à toute vitesse en mode épopée poissarde. Car cette petite troupe est classée dans la catégorie « losers ». Fin d’adolescence turbulente, ponctuée de scènes hilarantes. Jusqu’à la mort d’un ami. Mais là encore, la maîtrise de la narration est totale et l’auteur ne tarde pas à faire preuve d’un humour noir décapant : voyage singulier d’une urne funéraire avec désacralisation de la grande faucheuse. « L’urne était au milieu du billard ».

Dans ce récit ce sont des scènes d’une vie presque ordinaire qui sont livrées par dizaines. Le recul du temps fait qu’il ne reste que les moments les plus marquants, ceux qui reviennent en mémoire plusieurs décennies après. Le langage local à l’accent inimitable donne une dimension supplémentaire au récit : « À mon avis, avec tout ce qu’il a bu dans sa vie, va falloir qui fasse un croche par le purgatoire. Mais y’a jamais fait chier parsonne. Pis juste la manière qu’il avait de jouer aux pools, ça mérite quasiment d’être assis à la droite du père ».

Le dernier chapitre se fait plus historique, offensif avec le développement au début du siècle numéro vingt d’une mine d’amiante entraînant luttes sociales et syndicales à partir de 1915. Dans ce dernier texte, nous reconnaissons l’auteur de « Taqawan » et « Oyana », préoccupé par l’injustice. Mais là encore, il y a l’art et la manière de conter : « Les mois d’hiver défilent, sans concession du patronat. Ça va mal. On a plus une cenne. Y fait frette. Le vent souffle à travers les dumps. La neige est sale, le ciel gris comme un matin de décembre à huit cents pieds sous terre. Au moins, pendant la grève, on voit le soleil. L’opinion publique et une partie du clergé sont de votre bord. Après cinq mois de lutte, on gagne et on réveille la conscience de tout un pays ».

« Aller aux fraises », c’est un peu Jim HARRISON au pays des caribous : détachement, anecdotes drôles et attendrissantes, un début de vie adulte parsemé de galères, d’abus et de convoitises féminines. Ce livre peut être à ranger précieusement aux côtés de « Wolf : mémoires fictifs » ou « Un bon jour pour mourir » de Big Jim. PLAMONDON possède indéniablement par ce récit sa place près du grand homme borgne. Un moment de lecture distrayant mais pas seulement. Grand cru de chez Quidam, qui vient de sortir et qui pourrait bien trouver un public fort enthousiaste, d’autant que rien que la couverture enneigée met l’eau à la bouche et provoque une irrésistible envie de croquer dans des fraises des bois.

https://www.quidamediteur.com/

(Warren Bismuth)

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