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mercredi 17 février 2021

John STEINBECK « Nuits noires »

 


Écrit aux États-Unis en 1942, en pleine guerre mondiale, ce roman est rapidement traduit en français, et paraît tout d’abord en Suisse sous le titre « Nuits sans lune », mais dans une version expurgée et incomplète. En France, les éditions de Minuit clandestines, alors en résistance contre l’occupant nazi, décident d’en sortir une version intégrale. La traduction est l’œuvre d’Yvonne DESVIGNES, et le titre est désormais « Nuits noires », parution le 29 février 1944. C’est le plus fort tirage de toutes les éditions de Minuit clandestines, 1500 exemplaires imprimés. John STEINBECK est aussi le seul auteur étranger à figurer dans ce catalogue (1942-1944). C’est par ailleurs loin d’être un inconnu à cette époque, puisqu’il a déjà écrit certains de ses chefs d’œuvre, dont « Des souris et des hommes », « Tortilla flat » ou encore le très célèbre « Les raisins de la colère ».

Après la libération, STEINBECK voyage en France. VERCORS, cofondateur des éditions de Minuit clandestines, se tient dans la même pièce que lui et veut alors le saluer. Par l’intermédiaire de son secrétaire particulier, STEINBECK fait comprendre qu’il ne souhaite pas rencontrer VERCORS (c’est VERCORS lui-même qui raconte dans « La bataille du silence »), se bornant à dire à son porte-parole « no time ». S’ensuit un immense désappointement de VERCORS.

« Nuits noires » sera réédité à plusieurs reprises, notamment dans les années 1990, mais avec un titre différent : « Lune noire ». La lecture proposée ici est cependant bien la même traduction (ainsi que le même titre) que celle publiée initialement chez Minuit, elle est sortie en 2013 chez La République des Lettres. Voilà pour l’histoire du livre. Mais de quoi est-il question ?

En Scandinavie pendant la deuxième guerre mondiale, dans un pays qui pourrait être la Norvège, l’occupant armé de mitrailleuses vient déposer ses valises dans une ville après un assaut musclé. Ayant subi des pertes humaines, il tient désormais à se faire respecter. Il se pourrait qu’au cœur de la ville, l’un des habitants, pourtant connu et apprécié, soit un indicateur, un traître à la cause. Le bourgmestre cherche tant bien que mal à jouer son rôle d’élu et reçoit les représentants de l’armée d’occupation. L’ennemi est là pour les mines de charbon qu’il convoite au même titre que les produits de la pêche.

Il est demandé au bourgmestre de collaborer. Ne voulant pas salir sa fonction, il doit ménager la chèvre et le chou dans une ville où il dirige ses administrés dans une sorte d’autogestion généralisée. Mais un homme, résistant, vient de tuer un gradé de l’armée d’occupation et doit être jugé, alors même qu’il est entendu qu’il sera ensuite exécuté. La lutte s’organise. « Ils exagèrent, aussi, à entrer et sortir à toutes les heures de la nuit, et à fusiller le monde ».

Dans ce roman sombre, lucide et engagé, STEINBECK déploie les thèmes du positionnement en temps de guerre, de la collaboration, de la résistance, mais aussi des armes psychologiques comme le chantage ou le mensonge. Il met en avant les fonctions politiques locales dans une ville occupée. STEINBECK ne verse jamais dans le lynchage ni la loi du talion. Son récit pacifiste, humaniste, tourné vers la volonté de bonne entente (par ce thème, il peut être rapproché du tout premier des volumes des éditions de Minuit clandestines, lancé le 20 février 1942, en l’occurrence le très célèbre « Le silence de la mer » de VERCORS, où un allemand respectueux et empli de compassion se heurte au mur de silence d’une famille occupée).

« Vous n’êtes plus un homme. Vous êtes un soldat. Votre bien-être ne compte plus et votre vie, Lieutenant, ne compte guère davantage. Si vous en réchappez, vous aurez des souvenirs. Il ne faut pas vous attendre à avoir grand’chose d’autre. Entre temps, vous devez noter les ordres qu’on vous donne et les exécuter. La plupart du temps, ce ne sera pas agréable, mais cela n’est pas votre affaire ». Récit lent, âpre, comme détaché, il est le portrait d’une ville occupée à un instant T, avec ses forces et ses paradoxes, et fait partie des très bons romans de l’œuvre de STEINBECK.

http://www.leseditionsdeminuit.fr/

(Warren Bismuth)

1 commentaire:

  1. Je n'avais jamais lu ce roman de Steinbeck, il a l'air vraiment intéressant !

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