« La
révolution n’est pas une visite de courtoisie ». Certes. Tian Kewei
naît en 1950 dans la toute nouvelle République Populaire de Chine emmenée par
MAO Zedong. Derrière l’image quelque peu idyllique, un pays en totale
déconfiture, une tyrannie communiste rendant exsangue toute une nation. Kewei,
fils de paysan artiste peintre, transporte de la merde, des excréments, des
matières fécales dès l’âge de 7 ans. Il va ainsi faire quelques petits boulots
peu émancipateurs, peu égayants avant l’âge adulte.
Ce roman très documenté va balayer la
période de la Chine politique, sociale, sociétale, de 1950 et l’avènement de
cette « République Populaire » jusqu’aux évènements de la place Tian
Anmen en 1989, avec postface allant jusqu’à nos jours. L’auteur parle d’une
Chine repliée sur elle-même, archaïque, désirant imposer un nouveau communisme,
forcément totalitaire. S’ensuit la récession, les assassinats, les goulags
locaux, les intellectuels et artistes muselés, surveillés, emprisonnés, tués.
Les anecdotes sont nombreuses, les faits divers pléthoriques. Devant le manque
de matière première, d’argent, etc., les journées de travail sont parfois
fixées à 5 heures par jour. Famine, nombreux morts.
La délation bat son plein, il est
déconseillé de s’éloigner de la ligne de conduite étatique. Pour Kewei, le
personnage central de cette grande fresque, l’heure des soucis commence avec la
mort de son père Yongmin, rétif à la politique de MAO. Quant à la Chine de MAO
elle ne veut voir qu’une tête et tient à contrôler tous les milieux
possiblement incendiaires. JIANG Qing, femme de MAO, règne par exemple sur
l’art. Les femmes doivent toutes porter un uniforme gris-bleu. Pas de
différenciation entre les êtres, tout le monde doit ressembler au voisin. MAO
est partout, son visage en tous lieux publics, le culte de la personnalité bat
son plein, la mégalomanie a de bons restes. Pour les dissidents, c’est bien
simple : on coupe des langues comme de vulgaires ongles, on déporte, on
fait taire, tous les moyens sont bons. Culturellement, c’est le monopole du
fameux « Petit livre rouge » érigé en Bible Prolétarienne.
Kewei, ce fils de paysan peintre, devenant
peintre à son tour malgré les réticences de sa mère, peintre censuré qui, une
fois possédant du poids et un poste au sein du Parti, censurera les œuvres. Monde
absurde ou la liberté individuelle semble l’ennemi à abattre.
Mais voilà, MAO n’est pas éternel. Le
Grand Timonier, investigateur de la Révolution Culturelle, casse sa pipe en
1976. Il était temps. Il avait demandé la crémation, elle lui est refusée par
les autorités. Le pays va devoir se reconstruire, entre nostalgie et regard
vers le futur, l’international : « Mao, c’était ce vieux grand-père auquel, par déférence, on ne s’oppose
pas. C’était ce sage du passé, qui n’entend plus rien au monde, et qu’on n’ose
pas contredire. C’était cet être qu’on a aimé, mais qu’on ne comprend plus.
Alors on le craint. Alors on le hait. Le peuple chinois avait choisi de mettre
sa liberté en viager. Le peuple chinois attendait la mort du Maître. Et ce ne
fut que lorsque passa dans l’autre monde, s’il en est un, celui qui fut, à
proprement parler, le dernier empereur de Chine, que la première révolution
véritable put éclater. Que l’acte de naissance authentique de la Nouvelle Chine
put être contresigné ». Les
capitaines de navire se nommeront HUA Guofeng, puis TENG Xiaoping. Mais c’est
une autre histoire.
Ce roman est résolument politique et ne se
contente pas d’observer. Il est dense, parfois complexe pour les novices de
l’histoire chinoise contemporaine, il faut savoir s’accrocher aux wagons. Le
travail fourni par l’auteur est assez exceptionnel car empreint de force
détails, précis, cohérent. Vous l’aurez compris, les personnages fictifs sont
là pour faire prendre forme et donner du poids à cette Chine du XXe siècle au
destin singulier, un totalitarisme à la fois « classique » et
pourtant voulant se démarquer des autres politiques autoritaires internationales.
Roman sans temps mort, sans pathos, sans voyeurisme, une page d’histoire très
bien restituée. L’auteur avait écrit il y a deux ans un roman sur la Russie post
Stalinienne, je ne serais pas étonné d’aller y faire un tour à l’occasion (un
hiver, bien sûr !). Quant au présent ouvrage, il est paru en 2018 dans la
collection Blanche de chez Gallimard.
(Warren
Bismuth)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire