La narratrice s’est séparée d’avec son
conjoint, un type sans visage qu’elle nommera « L’homme chien » tout
le long du récit. Écrasée par la vie, elle va prendre le
chemin du nord, irrémédiablement, conjurer le sort, tenter d’aller jusqu’à ce
mur dressé tout au sommet du globe terrestre, qui ferait que l’on ne peut plus
passer, que l’on doit faire demi-tour et enterrer ses espoirs.
Durant ce voyage, quelques rencontres
improvisées, sans lendemain, amicales, sexuelles. L’une d’elles va pourtant bouleverser
son quotidien : aux Pays-Bas, ce concours de circonstances avec trois
polonais, mais c’est un quatrième, Isaac, polonais lui aussi, un enfant d’une
dizaine d’années qui va faire battre son cœur plus vite qu’à l’habitude, perdu,
orphelin, « offert » par l’un des trois autres, à la fois une épine
dans le pied et de nouvelles sensations à assumer. C’est peut-être à ce
moment-là que le voyage prend une vraie tournure initiatique, à deux, elle avec
son nouvel enfant, lui avec sa nouvelle mère. Le désir, peut-être.
Puis c’est l’arrivée au nord, enfin, en
Norvège, là où la nuit n’existe pas (le jour-nuit de la narratrice), pour remettre
un peu mieux les compteurs à zéro dans une vie jugée ratée. Pas de nuit, pas
d’obscurité. Sans lumière tout crève, sans nuit tout doit être pétillant de
vie. Se perdre dans le nord pour mieux se retrouver, métamorphosée.
La nature va jouer un rôle, celui de
chambre d’écho : « Un sentier
où tous ceux qui ont voulu crier sont allés. On voit l’herbe aplatie sur vingt
centimètres de large. Ce sont les pas des crieurs qui ont marqué le sol. Ma
gorge enfle à force de. Je continue pourtant de. Je cherche l’épuisement tout
en regardant mes cris remonter le long des rochers et s’échapper ».
Les cris viennent du ventre, ce ventre qui possède une importance toute
particulière dans le récit, celui qui a faim, faim de nourriture, mais surtout
de vie, de sensations, d’événements, ce ventre qui n’a pas porté Isaac, mais
qui aurait aimé l’héberger. C’est aussi celui qui a fin, fin de la routine, fin
de la lassitude.
La narratrice a entrepris ce travail sur
elle-même en 1999. Coïncidence ou plutôt volonté d’enterrer un millénaire de
souffrances afin d’être mieux disposée à accueillir le nouveau ? Faire
table rase du passé, oublier l’homme chien, sentir d’autres mains, d’autres
peaux, d’autres odeurs, profiter d’une date sur le calendrier pour renaître.
Un court roman de cette rentrée 2018, aidé
par une écriture délicate et pleine de souffrance en même temps, poétique et
écorchée. Peu de dialogues (les personnages ne parlent pas toujours la même
langue), une recherche d’un avenir en forme de Saint Graal, un rôle de mère, improvisé,
sans connaître la partition : « Je
fais ce que je peux. Je suis une remplaçante. Ce n’est pas facile d’être une
remplaçante. Je n’ai pas pris l’histoire au début. Je m’adapte au rôle. Complètement
ta mère, c’est vrai, je ne peux pas ». Nathalie YOT signe un beau
roman sensible, d’allure simple, épurée, un « roadbook » mélancolique
et sombre sorti par La Contre Allée, et l’on ne peut que les en remercier.
(Warren Bismuth)
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