Des femmes ont ensemble monté une
communauté, sans hommes, un « féminaire » comme l’écrit la
narratrice. Elles ont décidé de se passer de celui qu’elles nomment
l’oppresseur. Plaisirs lesbiens, longues descriptions du sexe féminin.
Évocations multiples de déesses, de nymphes, nombreuses allusions à
l’antiquité. Parallèlement, préparation à la guerre contre le mâle agresseur,
dominant, maniant le sexisme comme il a manié le racisme, son éradication est
en vue, l’armée souveraine des femmes est prête et ne fera pas de quartiers.
Au cœur de ce texte très exigeant et de structure
complexe, quelques cercles pleine page, ils peuvent à la fois représenter le
zéro, mais aussi un périmètre dans lequel les hommes seront faits prisonniers.
Il peut être vu également comme la lettre O, la première constituant les
différents noms de troupes féminines combattantes. Toutes les cinq pages, des
listes de noms de femmes tombées dans l’antiquité, comme un métronome incessant,
un robinet qui goutte du sang.
Le combat contre l’homme dominateur et
possessif va s’avérer violent, sans merci. La torture, la lutte, la guerre, la
revanche tant attendue. Mais Monique WITTIG ne plaide pas pour le sanguinolent
à tout crin, son texte est enrobé d’une poésie certes violente mais emplie
d’allégories, de références, de beauté. Des micro-poèmes intégrés dans l’œuvre
peuvent représenter ce boomerang que le mâle prend en pleine tronche après des
millénaires d’abus. Minutieusement mais avec hargne, l’auteure justifie l’acte
à venir :
« Elles
disent, ils t’ont décrite comme ils ont décrit les races qu’ils ont appelées
inférieures. Elles disent, oui, ce sont les mêmes oppresseurs dominateurs, les
mêmes maîtres qui ont dit que les nègres et les femelles n’ont pas le cœur la
rate le foie à la même place qu’eux, que la différence de sexe, la différence
de couleur signifient l’infériorité, droit pour eux à la domination et à
l’appropriation. Elles disent, oui, ce sont les mêmes oppresseurs dominateurs
qui ont écrit des nègres et des femelles qu’ils sont universellement fourbes
hypocrites rusés menteurs superficiels gourmands pusillanimes, que leur pensée
est intuitive et sans logique, que chez eux la nature est ce qui parle le plus
fort et cætera ».
Il faut bien s’accrocher pour lire ce
récit. Un roman ? Peut-être, mais j’y vois surtout un manifeste féministe
très acéré et sans concessions, sorte de manuel de lutte armée contre le
« mec ». En fin de volume, les références utilisées dans l’ouvrage
sont listées, elles sont nombreuses, variées, il est difficile de les percevoir
dans la lecture. Récit utopiste en même temps que combatif, il est lucide et
plein d’à propos.
Ce texte écrit en 1969 fit du bruit à sa
sortie aux éditions de Minuit. Puis il fut étudié, encensé. Devant les
féminicides toujours plus nombreux, il est plus que jamais d’actualité pour que
l’homme cesse de tout se permettre au nom de la virilité, de la
pseudo-supériorité, du défilé de testostérones, de longueur de quéquette et
d’épaisseur de muscles. « Les guérillères » (quel titre sublime !)
vient d’être réédité en poche en septembre 2019, tout juste 50 ans après sa
sortie, toujours aux éditions de Minuit, comme en guise de nouvel avertissement
au machisme, à la misogynie. Le propos signifie que s’il faut employer la
violence contre la violence, alors elles ne s’en priveront pas. Il faudra
frapper droit au coeur, c’est-à-dire entre les jambes, pour bien faire remonter
les burnes jusqu’à la gorge et les voir jaillir de la bouche, dégueulées comme
le comportement masculin peut être dégueulasse. Ce livre ô combien percutant devrait
à nouveau laisser des traces.
(Warren Bismuth)
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