Rentrée
littéraire 2019 suite. Le monde qu’Emmanuelle PIREYRE nous propose de découvrir
dans son nouveau livre est le nôtre, fait d’avancées technologiques, de
croisements génétiques, élégants ou non, d’Europe des nations, de manque de
recul sur les conséquences des inventions, des créations, un peu comme si la
possibilité de croiser Frankenstein à un coin de rue était devenue perceptible
quotidiennement. Mais à la différence d’auteurs catastrophistes ou à teneur
néo-nihiliste avec sourire cynique de circonstance en mode findumondiste,
Emmanuelle PIREYRE emploie l’humour décalé comme arme absolue.
L’Europe,
27 pays. OK l’Angleterre, la Brexiteuse, est sur la touche, regard vers les
vestiaires. Quelles propositions pour rendre l’Europe plus attractive, plus
efficace ? Donner un sujet d’actualité, social, politique ou
environnemental à chaque pays pour qu’il planche dessus. Puis réunion formelle
et solennelle pour travaux de groupes. La France tire le sujet « Temps
libre », alors que par exemple l’aspect « Finance » est attribué
à la Croatie. Chaque pays possède son thème sur lequel bûcher. Mais l’Europe
est peuplée d’individus. Emmanuelle PIREYRE va en suivre quelques uns de près.
Et comme pour se recentrer de plus en plus, elle va opter pour une partie
autobiographique (ou autofictionnelle ?) : le quotidien Libération,
une commande pour l’auteure dont le sujet sera le vaste sujet des OGM. C’est de
ce point de départ qu’elle va rencontrer le biologiste jaques TESTART puis
d’autres chercheurs, en Angleterre comme ailleurs. Qu’elle va sympathiser avec
Brigitte, propriétaire d’un être hybride, croisement chien/humain, une chimère
quoi ! Un certain Alistair, sorte de caricature de l’humain, ou
cyber-humain à l’état de brouillon.
Emmanuelle
la narratrice va suivre une tribu gitane. Car ce livre est aussi et peut-être
surtout un hommage aux tsiganes, aux gitans, aux manouches, aux roms. Que l’on
peut aussi orthographier Rrom. Le traité de Rome dont il est question dans le
livre comme dans notre Histoire internationale, ne mériterait-il pas un
ripolinage sous le nom de traité de Rrom ? Et Éric ROHMER le cinéaste,
beaucoup évoqué dans le récit, les quatre premières lettres de son nom ne
sont-elles pas là pour nous rappeler encore ces Roms ?
Mais
il y a le citoyen. On y met tout derrière ce terme, cette désignation. Vilain
mot, citoyen. « … dès qu’on ajoute
l’adjectif ‘citoyen’ derrière un mot, je ne sais pourquoi, je suis prise d’une
irrépressible envie de dormir. ‘Pique-nique citoyen’ et les yeux me picotent,
‘j’emprunte citoyen’ tandis qu’un bâillement me décroche la mâchoire ».
Manière de comprendre qu’après pareille réflexion la « science citoyenne »
ne peut qu’être emmerdante.
Heureusement
retour du gitan, de la vie sans chichis, comme un rempart aux pensées sur la
manipulation génétique, une bouée de sauvetage, un retour aux valeurs
naturelles. Mais humour, toujours. Un peu à l’anglaise. C’est cocasse,
pétillant, bien écrit, langue entre écriture un brin désuète, pardon, obsolète
devrait-on dire si l’on suit les préceptes du présent livre, mais dont le
rythme soutenu et un jonglage approprié en permettent une lecture résolument
moderne. De par les thèmes aussi bien sûr.
Emmanuelle
PIREYRE sait également se faire féministe. « … nous descendons de nos montagnes pour prendre les places, empruntant à
toutes jambes le chemin ou rebondissant sur les fesses dans la pente, avec nos
spécificités, notre cou trop long, notre cerveau ultrastructuré, notre mèche
dans les yeux, nos talons ou nos tongs, notre poncho et notre incompréhensible
chapeau à plume. Nous sommes prêtes à devenir les directrices, les présidentes
et les zadistes les plus enragées, nous pliant pour entrer dans les catégories
anciennes ou alors, chacune son style, nous en foutant éperdument ».
Toujours cette méfiance envers le « citoyen » dirait-on…
Beaucoup
de références (« La controverse de Valladolid », judicieuse idée car
indéniable sorte de point de départ à la présente trame), d’informations, de
termes techniques et/ou scientifiques mais qui ne paralysent pas la lecture
puisque le maître mot est l’humour, les situations grotesques ou encombrantes.
Un peu de légèreté derrière beaucoup de sérieux, le dosage est savant et parfaitement
réussi. La mayonnaise est rigoureusement bien montée, ferme, elle peut être
servie sans souci d’indigestion. Emmanuelle PIREYRE est loin d’être une
débutante puisque, entre autres, définitivement détentrice du prix Médicis
2012. « Chimère » est sorti en cette rentrée 2019 aux éditions
de L’Olivier.
(Warren Bismuth)
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