Long et pénétrant poème dans lequel GIONO
se lance dans une réécriture admirable de la genèse. Si les Dieux observent
tout d’abord de loin cette terre représentée en orange verte, c’est pour mieux
la fouler ensuite, ces Dieux qui changent de forme dès la construction des
horizons. Les ailes poussent, synonymes de liberté, d’autant que les vents sont
de la partie :
« Ainsi
S’adaptèrent
à la manière
Les
ailes qui jusque là
Avaient
soutenu les dieux
Dans le
vide »
Maintenant que le vent et les ailes
cohabitent sur terre, il n’y a plus qu’à marcher,
« Ce
qui, somme toute,
Est
assez difficile
Pour qui
jusque-là
N’a fait
que planer ».
Les pas se règlent sur le vent, le système
se développe, il faut marcher. Ou rouler. Le dieu se mue en homme. La roue fut
découverte puis redécouverte en tous temps et en tous espaces. Une roue qui a
engendré sa presque sœur de nom : la route. Quant au temps, il est une
feuille d’arbre dont le vent va s’occuper. L’arbre né de l’eau, des rivières
qui ont nourri les forêts.
Mais déjà apparaît de la fumée, comme
trouée par un araire, symbole du premier stylo, du premier stylet, premiers
écrits sur la Terre, dans la Terre. La fumée, qui vient des arbres, attisée par
le vent. Les forêts brûlent et reculent. Toute avancée technologique vient de
la terre, du fond des âges, la roue tourne, revient à son point de départ, les
vivants redeviennent morts. De nouveaux grains sont semés pour reproduire la
vie. Comment les hommes ont réagi après avoir semé, enterré leur premier
cadavre, mais que rien n’a repoussé ?
« J’imagine
qu’au début,
Après
avoir ainsi planté,
(Ou
semé) un cadavre,
On a
attendu
Pour
voir le corps
Qui en
sortirait.
On n’a
vu
Que
l’herbe, ou l’arbre,
On n’a
pas
Fait le
rapport
(Tout de
suite en tout cas,
Et la
magie l’a fait après).
On s’est
dit
Que
puisque le corps
Ne
repoussait pas,
C’est
qu’il avait, en bas,
Trouvé
un lieu
À sa
convenance,
Ou qu’il
y était prisonnier,
Ou qu’il
expiait
Ses
fautes ».
La terre, un cadavre à peine enterré,
c’est déjà la guerre.
Poème d’une rare force, d’une
exceptionnelle puissance, spécialement écrit en 1964 par GIONO pour son ami
Jean GARCIA, c’est là un cadeau d’une grande préciosité. Le style est pur,
minimaliste, l’épaisseur mythologique palpable, c’est un immense texte de
GIONO, sorti en 1989 aux éditions Le Temps Qu’il Fait. Je serais curieux de
savoir s’il a été édité ultérieurement en d’autres formats, éventuellement en
« bonus » d’autres ouvrages, car bien sûr il est épuisé. Rien que l’objet
est en lui-même magnifique : long livre de 21,5 cm, papier résistant et
très épais, poème très aéré, couverture épaisse et sobre, quelques mots,
quelques lignes par page, tout est écrit très gros, comme pour en ralentir
encore la lecture. C’est tout simplement divin. Je ne serais pas surpris d’être
atteint à nouveau d’une Gionoïte aiguë dans les prochains mois. Épidémie à
suivre...
(Warren
Bismuth)
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