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mercredi 8 mai 2019

Jean GIONO « Il n’y avait plus qu’à marcher »


Long et pénétrant poème dans lequel GIONO se lance dans une réécriture admirable de la genèse. Si les Dieux observent tout d’abord de loin cette terre représentée en orange verte, c’est pour mieux la fouler ensuite, ces Dieux qui changent de forme dès la construction des horizons. Les ailes poussent, synonymes de liberté, d’autant que les vents sont de la partie :

« Ainsi
S’adaptèrent à la manière
Les ailes qui jusque là
Avaient soutenu les dieux
Dans le vide »

Maintenant que le vent et les ailes cohabitent sur terre, il n’y a plus qu’à marcher,

 « Ce qui, somme toute,
Est assez difficile
Pour qui jusque-là
N’a fait que planer ».

Les pas se règlent sur le vent, le système se développe, il faut marcher. Ou rouler. Le dieu se mue en homme. La roue fut découverte puis redécouverte en tous temps et en tous espaces. Une roue qui a engendré sa presque sœur de nom : la route. Quant au temps, il est une feuille d’arbre dont le vent va s’occuper. L’arbre né de l’eau, des rivières qui ont nourri les forêts.

Mais déjà apparaît de la fumée, comme trouée par un araire, symbole du premier stylo, du premier stylet, premiers écrits sur la Terre, dans la Terre. La fumée, qui vient des arbres, attisée par le vent. Les forêts brûlent et reculent. Toute avancée technologique vient de la terre, du fond des âges, la roue tourne, revient à son point de départ, les vivants redeviennent morts. De nouveaux grains sont semés pour reproduire la vie. Comment les hommes ont réagi après avoir semé, enterré leur premier cadavre, mais que rien n’a repoussé ?

« J’imagine qu’au début,
Après avoir ainsi planté,
(Ou semé) un cadavre,
On a attendu
Pour voir le corps
Qui en sortirait.
On n’a vu
Que l’herbe, ou l’arbre,
On n’a pas
Fait le rapport
(Tout de suite en tout cas,
Et la magie l’a fait après).
On s’est dit
Que puisque le corps
Ne repoussait pas,
C’est qu’il avait, en bas,
Trouvé un lieu
À sa convenance,
Ou qu’il y était prisonnier,
Ou qu’il expiait
Ses fautes ».

La terre, un cadavre à peine enterré, c’est déjà la guerre.

Poème d’une rare force, d’une exceptionnelle puissance, spécialement écrit en 1964 par GIONO pour son ami Jean GARCIA, c’est là un cadeau d’une grande préciosité. Le style est pur, minimaliste, l’épaisseur mythologique palpable, c’est un immense texte de GIONO, sorti en 1989 aux éditions Le Temps Qu’il Fait. Je serais curieux de savoir s’il a été édité ultérieurement en d’autres formats, éventuellement en « bonus » d’autres ouvrages, car bien sûr il est épuisé. Rien que l’objet est en lui-même magnifique : long livre de 21,5 cm, papier résistant et très épais, poème très aéré, couverture épaisse et sobre, quelques mots, quelques lignes par page, tout est écrit très gros, comme pour en ralentir encore la lecture. C’est tout simplement divin. Je ne serais pas surpris d’être atteint à nouveau d’une Gionoïte aiguë dans les prochains mois. Épidémie à suivre...


(Warren Bismuth)

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