J’ai beau connaître et avoir lu une bonne
partie de la bibliographie de Jack LONDON, j’ignorais l’existence de ce livre
de 2014, dans lequel on entrevoit des facettes méconnues de l’homme Jack LONDON
dans ce recueil de lettres écrites à sa famille entre 1907 et novembre 1916,
soit quelques jours avant sa mort (la dernière lettre ici publiée semble être
le dernier écrit de l’auteur). De son premier mariage avec Bess MADDERN, il
naîtra deux filles : Joan et Bess (Becky). Le couple va très rapidement se
séparer, ainsi LONDON n’assistera pas à l’évolution, à l’éducation de ses
filles qu’il verra peu. Seulement il va leur écrire, ainsi qu’à leur mère, à plusieurs
reprises, ce sont ces lettres qui sont éditées dans ce court bouquin.
À
la surprise générale, LONDON s’y montre rageur, hargneux et très violent, cruel
même. Il dénonce la mentalité paysanne et ignorante de son ex-femme, met en
garde ses filles contre les mensonges répétés de leur mère, selon lui juste
bonne à entreprendre des démarches pour que l’écrivain lui reverse de l’argent,
toujours plus. Dans ces lettres, il se défend de ce qu’il imagine des propos mensongers
de Bess MADDERN à son encontre, il ne cesse de lui en vouloir par le truchement
de ses filles, il est empli d’une rancune tenace et parfois délirante.
Plus
étonnant : il se révèle égocentrique, très soucieux de l’image qu’il
renvoie. Quant à Bess, elle est « mesquine,
primitive, fruste ». Il donne des conseils à ses filles concernant
leur avenir, mais les prévient : si elles suivent les pas de leurs mères,
elles deviendront insignifiantes, alors que lui est un homme public, connu,
talentueux et respecté. Un avant-goût du ton qu’il emploie pour écrire à son
ex-femme : « Comme d’habitude,
et comme autrefois et toujours, je gère tout et ne reçois rien en échange.
Cesse un instant de croire, s’il te plaît, que tu es la seule à aimer Joan et
Bess. Et n’oublie pas ce risque : moins je vois mes enfants, moins je les
connaîtrai et moins je m’y intéresserai. Et dans la mesure où tu te places
entre elles et moi, plus tu interviendras, plus mon intérêt déclinera, et moins
j’en ferai pour elles. N’oublie pas que l’organisation que je t’ai permis
d’adopter depuis quelques années maintenant, est une organisation qui t’a permis
de m’aliéner les enfants, une organisation qui m’a entraîné à méconnaître mes
enfants et à m’en désintéresser ».
Sur
l’insignifiance, il écrit à Joan, sa jeune fille « Souviens-toi que le monde est peuplé de personnes importantes et de
personnes insignifiantes. La population mondiale est presque entièrement constituée
de personnes insignifiantes. C’est un choix qu’il est difficile de te faire
endosser à ton âge, et le risque est qu’en faisant ce choix comme je te l’ai
demandé dimanche soir, tu fasses l’erreur de choisir de devenir une personne
insignifiante, dans un lieu insignifiant dans une partie insignifiante du
monde. Tu vas faire cette erreur parce que tu écoutes ta mère qui est une
personne insignifiante, dans un lieu insignifiant dans une partie insignifiante
du monde et qui, à cause de sa jalousie de femme vis-à-vis d’une autre femme,
va sacrifier ton avenir ».
LONDON
se place tout au long de ces lettres comme une victime de sa femme
manipulatrice, est d’une violence inouïe envers ses filles alors très jeunes
pourtant, comme s’il écrivait à un adulte avec lequel il devait en découdre
coûte que coûte. Il est sans filtre, sans nuance et parfois sans contrôle.
Enfant,
LONDON a connu la misère. Même une fois parvenu à la notoriété, il aura parfois
bien du mal à boucler ses fins de mois, alors qu’il est désormais en couple
avec Charmian, sa seconde épouse, sa vraie muse. Ainsi, il prévient Bess qu’il
ne pourra pas l’aider financièrement à l’éducation de ses filles qu’il ne voit
d’ailleurs jamais. Il leur écrit au gré de ses voyages, d’un peu partout dans
le monde. Il y parle de l’incendie de la maison de ses rêves en 1913, Glen
Ellen, qu’il venait juste de terminer et dont il ne se remettra jamais
totalement de la perte.
Il
est obsédé par la vérité, du moins la sienne, Bess ne faisant à ses yeux que
mentir sans vergogne. Dans chaque lettre se trouve une réflexion sur la vérité,
le mensonge, l’idiotie de Bess, rancune tenace et violente. Malgré l’intérêt
qu’il porte à ses filles, il ne peut s’empêcher de les tacler : « Mais, s’il te plaît, souviens-toi que, quel
que soit ce que tu feras à partir d’aujourd’hui, cela ne m’intéresse pas. Je
n’ai aucun désir de connaître tes échecs ou tes succès ; c’est pourquoi,
s’il te plaît, ne me parle plus de tes notes à l’école, et ne m’envoie plus tes
dissertations désormais ».
Si
vous ne connaissez ni l’œuvre ni le personnage de Jack LONDON, il ne faut
surtout pas commencer par ce livre à charge, où l’auteur révèle un aspect peu à
son avantage. La traduction elle-même n’étant pas exempte de tout reproche,
confondant régulièrement le futur et le conditionnel. Pour les fans de LONDON
dont je suis, ce bouquin est un mal nécessaire pour faire tomber le masque.
Sorti aux éditions Finitude. Le titre est extrait d’une lettre envoyée
à sa fille Joan.
(Warren Bismuth)
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