On pourrait ici s’attendre à
parcourir un petit guide de voyage de la capitale grecque, il n’en
est rien. L’auteur de ce bouquin s’est baladé durant trois
années dans les rues d’Athènes, il en a tiré des photographies
de tous ordres, et c’est par le prisme de ces instantanés qu’il
va nous entretenir sur le Athènes d’aujourd’hui, en tout cas du
XXIe siècle.
Une grosse trentaine de photos,
des petits bouts de quartiers de la ville, mais avant tout des photos
qui évoquent l’atmosphère de la ville, son âme, eût-elle été
vendue au diable ou à l’un de ses représentants. Ce que l’on
voit n’est pas toujours un simple cliché couleur, mais bien une
courte tranche de vie d’Athènes, un grain de sable de son passé,
et pourquoi pas de son avenir. L’auteur tend à faire comprendre
qu’Athènes est une ville unique à l’univers singulier, comme
décalée voire absurde : des chaises ou fauteuils trônant en
pleine rue et parfois attachés comme un deux-roues, pour qui pour
quoi ? Des morceaux de ville installés sur le bitume, que ce
soit des chicanes brandissant fièrement des morceaux de bâtons, des
colonnes ioniques (en fait d’immenses cendriers), des touffes
d’herbe mangeant le béton, l’accouplement improbable d’un bout
de poubelle et d’un demi lampadaire (peut-être la photo la plus
absurde), un plot en béton enfilant comme sexuellement un cône de
chantier, des branches de palmiers sorties de terre au centre d’une
rue goudronnée. Je n’omets pas ce mannequin plastique grandeur
nature habillé de sacs poubelles, ni ce no man’s land de détritus
et carcasses au pied d’immeubles, ni ce globe bleu scintillant en
plein centre d’une façade, sorte de boule à facette grotesque.
« Athènes dresse sans
arrêt sur notre route des pièges insolites de ce genre. Des failles
qui nous font un peu perdre le sens de l’orientation. Nous vivons
dans une oscillation permanente entre ce qui est prévisible et ce
qui est inattendu. Cela aussi fait partie du charme étrange qui nous
retient ici ».
Entre fascination et peur,
l’auteur ne sait pas vraiment sur quel pied danser. À
la fois il aime, admire Athènes, mais il voit ce je ne sais quoi
d’angoissant, tous ces détails inutiles voire dépassés, comme si
la ville s’était délestée de sa chrysalide pour se métamorphoser
en monstre incontrôlable. Tous ces clichés sont parlants si, comme
l’auteur, on se penche un peu sur leurs significations :
Athènes lézardée et épuisée, Athènes incompréhensible, faite
de dérisoires petits grains de folie qui ne mènent à rien mais
représentent un état d’esprit, une force, mais aussi une
protection par l’absurde.
La préface est assurée par
Edgar MORIN, en tout cas par un extrait de l’un de ses livres « Les
sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur ». Si ce
futur semble quelque peu embrumé, CHRYSSOPOULOS ne verse pas dans la
résignation, d’ailleurs la photo de couverture représente la
statue d’un coureur, en plein ville, aux yeux étincelants, une
image doublement non figée.
De courts textes accompagnent
une partie des photographies, ils reflètent cette ville d’Athènes,
ils sont des sous-titres aux instantanés, ils peuvent être cruels
ou tendres mais toujours empreints d’un grand respect pour le cœur
de la Grèce. La traduction assurée par Anne-Laure BRISAC,
spécialiste de littérature grecque et Responsable des éditions
Signes et Balises, fait encore un peu plus palpiter la ville, la
rendant animale, sensuelle, en mouvement mais fragile, tout en lui
offrant un aspect poétique, un cocon de protection. C’est sorti en
2016 chez Signes et Balises et ça m’a l’air absolument parfait
pour une petite lecture estivale.
https://signesetbalises.fr/
(Warren Bismuth)
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